Un extrait de Le torrent captif

Viviane revient avec le tome 4 de La Coureuse des grèves! La sortie est prévue le 21 mars 2024. Cette aventure m’a donné du fil à retordre, autant l’intrigue que le tourbillon d’émotions. Par contre, le résultat est à la hauteur de mes attentes et je suis très contente de le partager avec vous.

Plusieurs d’entre vous ont terminé la lecture du tome 3 avec une petite frustration à l’égard de Zacharie. Après la révélation de Viviane, il avait besoin de réfléchir. Dans cette nouvelle enquête, la police fait appel à Viviane pour interpréter la scène de crime. Zacharie lui-même est au nombre des suspects et Viviane est bien décidé à l’aider, coûte que coûte.

Le torrent captif était l’opportunité parfaite pour explorer la dimension autochtone des créatures surnaturelles, notamment grâce à l’implication d’une Shaman. Ceux et celles qui ont lu la nouvelle L’éveil reconnaîtront Lou Ann qui viendra prêter main forte à Viviane. L’invité du moment au manoir est aussi un personnage bien connu de l’univers Windigo, mais je n’en dis pas plus.

Je vous laisse sur un petit extrait, au moment où Viviane rejoint les enquêteurs de police sur la scène de crime. Bonne lecture!


À mon arrivée sur la scène de crime, Malaïka discutait avec un autre officier. Ma première interaction avec l’enquêtrice datait d’octobre dernier, alors que j’essayais d’élucider une série de sabotages sur des chantiers de construction. Je n’avais pas été en mesure de la charmer à ce moment-là, et son immunité à la magie s’était confirmée lors de sa visite au manoir, en février. À cette occasion, le sorcier Gamache, qui se faisait passer pour un mage sans défense, avait manipulé Fayette pour que ce dernier incite les policiers à partir. Ni la magie du petit Fae ni la mienne n’avaient eu d’effet sur Malaïka, ce qui m’avait obligée à jouer cartes sur table. L’enquêtrice avait par la suite procédé à l’arrestation du meurtrier de Jonathan Falardeau. Malheureusement, le coupable n’avait pas vécu assez longtemps pour faire face à un juge. Nous avions alors convenu de collaborer sur les questions surnaturelles dans l’espoir d’éviter d’autres morts inutiles.  

L’interlocuteur de Malaïka se tourna de profil, et je reconnus l’enquêteur Boisvert que j’avais aussi croisé au cours de cette dernière enquête. Plus loin, un énorme autocar noir et blanc occupait le centre du stationnement du golf. On lisait son rôle en toutes lettres sur ses flancs : Poste de commandement – Sûreté du Québec. Des agents de police et des civils en veste de sécurité fluo circulaient autour d’une table pliante. Quelques regards curieux s’attardèrent sur le Combi tandis que je me garais dans un coin à l’écart.  

Je résistai à l’envie d’enfoncer une casquette sur ma tête. Aucune chance que je passe inaperçue. Si Malaïka faisait appel à moi devant ses collègues, je pouvais supposer que le chat était sorti du sac quant à ma nature surnaturelle. Inutile de raser les murs. 

Malaïka et son collègue observèrent mon approche en silence. La forte stature de l’enquêteur Boisvert faisait paraître sa collègue presque délicate, mais la jeune femme cachait un physique athlétique sous ses vêtements civils. Jumelés à ses cheveux retenus par un chignon sévère, la chemise blanche et le pantalon beige lui donnaient des airs de comptable, seulement démentis par l’insigne et l’arme de service à sa ceinture. Sur une autre personne, le choix de couleurs aurait semblé morne, mais dans son cas, il soulignait son teint marron clair. Les deux enquêteurs m’évaluèrent de la tête aux pieds tandis que je les rejoignais. Leurs expressions restèrent neutres, mais l’enquêtrice ne put réprimer un tic au coin de la bouche. Mon coton molletonné jaune serin affichait en grosses lettres stylisées « La vie est une soupe et je suis une fourchette ». Mon inconscient envoyait-il un message de syndrome de l’imposteur en les avertissant ainsi de ne pas fonder trop d’espoir sur ma contribution? Malaïka me tendit la main et je la serrai en retour. 

– Viviane, me salua-t-elle. Tu te rappelles l’enquêteur Boisvert? 

Il inclina la tête, le visage fermé. À en juger par son expression, ma présence ne faisait pas l’unanimité.  

– Oui. Florence m’a demandé de vous transmettre ses salutations. Elle vous invite à repasser au manoir, si jamais vous voulez une pointe de tarte. 

L’enquêteur sourcilla, surpris par cette offre, et je réprimai un sourire avant de reporter mon attention sur Malaïka. 

– Avais-tu un endroit en particulier à me montrer, ou veux-tu une évaluation générale du secteur? 

– C’est quelque chose que vous pouvez faire? s’enquit l’enquêteur Boisvert, l’air sceptique. 

Mon premier réflexe aurait été de dissimuler ma nature et mes pouvoirs. Les événements de cet hiver m’avaient obligé à reconnaître que cette option n’était plus viable. Je m’efforçais de vivre en symbiose avec mes pouvoirs, et pour ce faire, je devais les inclure dans chaque facette de ma vie – du moins c’est que Marie-Josephte me répétait sans cesse. D’une profonde inspiration, je puisai en moi, vers cette zone que je travaillais encore à apprivoiser, même si l’obscurité n’y régnait plus, et je déployai mes sens vers l’enquêteur Boisvert. Rien d’offensif, seulement exploratoire. Au premier contact, j’eus la confirmation qu’il s’agissait d’un humain normal. Ce n’était pas l’information qui m’intéressait. Je dosai l’afflux de magie pour effleurer la surface de ses pensées, sans les influencer.  

Marie-Josephte m’avait fait travailler cette aptitude au cours des derniers mois. J’étais parvenue au stade où ma cible ne se doutait pas de ma présence, et quelques secondes me suffisaient pour évaluer son état d’esprit. Chez l’enquêteur Boisvert, je décelais un mélange de scepticisme, de craintes et de fébrilité. Le combo n’augurait rien de bon pour moi. J’espérais quand même éliminer le premier élément, sans attiser le deuxième. Quant au troisième, difficile de trancher. Belmore avait parlé de changements, mais je n’étais pas prête à me dévoiler pour autant. Avant que mon silence ne soit mal interprété, je lui offris un sourire poli et lui brossai un portrait enrobé de demi-vérités : 

– Les nymphes entretiennent une étroite relation avec la faune et la flore de leur habitat. Le contact vient facilement, un peu comme quelqu’un qui tend la main dehors pour confirmer s’il pleut ou non. L’eau possède une excellente mémoire, et il suffit de savoir s’y prendre pour décortiquer ce dont elle a été témoin. 

Satisfait de mon explication, il hocha la tête. Malaïka m’étudiait, les yeux plissés. Je m’étais bien gardé de préciser si j’étais ou non une nymphe, je préférais les laisser tirer leurs propres conclusions. Vu la vivacité d’esprit de Malaïka, cette omission ne lui avait pas échappé. Plutôt que d’exiger des éclaircissements, elle m’invita à la suivre d’un geste de la main, à mon grand soulagement. Elle traversa le stationnement pour emprunter un chemin de gravier. J’accélérai au petit trot juste pour tenir la cadence. Lorsqu’elle s’en rendit compte, elle raccourcit sa foulée et ajusta son pas sur le mien. 

– Nous avons reçu un appel tôt ce matin, expliqua-t-elle. Le propriétaire du terrain a aperçu une embarcation abandonnée sur la rive. 

Malaïka bifurqua vers un sentier de terre battue, créé par le passage répété des promeneurs plutôt que par un aménagement intentionnel. Elle enjamba un canal où gargouillait un filet d’eau dissimulé par des herbes hautes. J’envoyais une pointe d’énergie en guise de salutation, et la présence de l’eau frétilla dans mon esprit, imprégnée de sa joie de me voir. L’envie de courir sur la grève me démangeait, mais ça devrait attendre. Malaïka me désigna un point vers la gauche. 

– Nous sommes sur la propriété voisine du golf. 

Elle traversa le sous-bois jusqu’à la berge de la rivière Chaudière. La ligne des arbres s’arrêtait à plusieurs mètres de l’eau, où les herbes cédaient la place à une mince bordure de cailloux. Face à nous, une petite île divisait le courant. Des affleurements rocheux crevaient la surface à quelques endroits. L’autre rive se dressait à quelques dizaines de mètres. Le vent agita la banderole jaune à côté de nous, que la police avait érigée pour instaurer un périmètre de sécurité. Malaïka salua les deux agents qui surveillaient les environs, puis elle souleva le ruban pour me faciliter le passage.  

Au milieu de la zone, une chaloupe gisait en angle. À la poupe, les pales tordues du moteur laissaient présager du pire. Du sang séché maculait l’herbe, les roches et les planches de l’embarcation. La peinture verte s’écaillait par endroit, mais la corde attachée à l’avant paraissait neuve. Malaïka se rendit vers la proue et pointa l’intérieur de la chaloupe. 

– Le laboratoire a confirmé qu’il s’agit de sang humain. 

Mes sourcils grimpèrent tout en haut de mon front. Je ne savais plus combien de litres de sang pouvait contenir le corps humain, mais j’étais certaine que la quantité présente signifiait que la blessure avait été fatale. De profonds sillons marquaient l’intérieur du bateau, rappelant des griffes ou un outil à plusieurs dents, bien aiguisées. Un miroitement argenté attira mon attention, et je me penchai pour observer de plus près, en prenant soin à ce que mes vêtements ne touchent pas la chaloupe. 

Des symboles en ornaient toute la surface, de l’avant vers l’arrière. Je reconnus certaines runes, plus courantes dans la culture populaire malgré leur origine ancienne, de même que la représentation d’animaux dont un sanglier. Je reculai pour avoir une meilleure vue d’ensemble. Les deux enquêteurs me surveillaient en silence, avec la même vigilance que Baka lorsque j’apprêtais du poisson. Je fis abstraction de leur présence et étudiai la berge. Le pouvoir dans ma poitrine gonfla pour attirer mon attention et – contrairement aux habitudes développées ces dernières années – je l’invitai à explorer les alentours. Ma magie s’étira et recouvrit toute la scène de crime. Je testai l’énergie environnante, à la recherche de la signature que j’associais avec le sorcier Gamache. C’était peut-être un excès de suspicion de ma part, mais son séjour au manoir cet hiver, juste sous mon nez, m’avait rendue méfiante. Ici, rien ne semblait indiquer que l’enchanteur ait été à proximité de la chaloupe. 

Mes sens s’attardèrent sur des traces dans la terre meuble entre l’orée du bois et la berge. Des sabots? Le va-et-vient des policiers avait recouvert la majorité des empreintes, mais celles encore intactes m’apparaissaient étroites, et peut-être fendues? De mémoire, je devais écarter tous mes doigts pour obtenir la même circonférence que les traces de sabot de Zacharie. Ces empreintes-ci m’arrivaient à la deuxième jointure. Donc, il s’agissait d’un animal plus jeune ou plus petit. 

Je fouillai le secteur, à la recherche d’un corps, d’une présence incongrue. Les plantes ondulèrent sous le vent pour saluer mon passage, et les arbres frémirent, mais aucun d’entre eux ne me signala quelque chose hors de l’ordinaire.  

Puisque rien d’autre ne me sautait aux yeux, je tournai mon attention vers le manitou de la rivière. J’eus la même impression que lorsqu’on descend au sous-sol : aveuglée par la lumière du jour, je tâtonnai dans le noir. Je me heurtai à la présence du courant, mais aucune réponse ne venait, hormis l’écho de ma propre voix. Je plongeai vers le fond de la rivière jusqu’à trouver un mince filet sombre, raide comme une corde d’amarres prête à lâcher. Je l’approchai avec douceur et une sensation visqueuse recouvrit mes membres. Je tendis mes sens, mais le manitou se déroba à chacune de mes tentatives pour le toucher. 

Frustrée, je rouvris les yeux. Le manitou aurait dû être ma piste la plus sûre, et son témoignage m’aurait permis d’établir la séquence des événements hors de tout doute. Sa résistance était-elle liée à la chaloupe ou les deux éléments n’avaient-ils aucun rapport? Un mouvement dans les fourrés attira mon attention. Le feuillage frissonna et je plissai les yeux : une petite tête ronde au pelage brun m’observait. Je souris en reconnaissant mon ami le pékan. Rien ne le distinguait de n’importe lequel de ses semblables, mais j’avais la certitude qu’il s’agissait du même animal dont je croisais la route depuis mon arrivée dans la région. Notre première rencontre avait eu lieu loin d’ici, mais je n’étais qu’à moitié surprise de le retrouver dans les parages – les mâles de l’espèce possédaient des territoires d’environ vingt kilomètres carrés et ils pouvaient parcourir plus d’une centaine de kilomètres au cours de la saison chaude.  

Le crissement du gravier précéda l’arrivée de Malaïka dans mon champ de vision. Son collègue se tenait en retrait, les bras croisés. 

– Alors? 

– J’aimerais passer un coup de fil pour vérifier quelque chose, si ça ne t’embête pas. Je ne révélerai rien sur l’enquête, les rassurai-je. 

Malaïka m’étudia quelques secondes avant d’acquiescer. Je sortis mon smartphone et composai le numéro de Marie-Josephte. Elle n’était peut-être pas ma source d’information la plus fiable, mais au moins son aide ne me rendrait pas redevable outre mesure. Les Faoladh, en la personne de Sorcha, auraient pu me répondre, mais je préférais faire appel aux loups en dernier recours. La voix de l’enchanteresse coupa court à mes réflexions : 

– Si tu appelles pour annuler notre rendez-vous de demain, tu ferais mieux d’avoir une excuse solide, répondit-elle. 

Le coin de mes lèvres se retroussa malgré les circonstances sinistres de mon appel. Elle prenait son rôle de mentor très au sérieux, ce dont je lui étais redevable, même s’il m’arrivait de regretter l’époque bénie de l’ignorance. 

– Je n’oserais pas. Non, j’aurais besoin d’une information : peux-tu me dire s’il y a des druides dans la région? 

– Mmm, quelques-uns, mais ils se font rares. Dans ton secteur, il n’y en a qu’un, et il est facile à trouver : Tristan O’Kelly, notaire de profession. Plutôt timide, mais honnête. Si tu as besoin de ses services, tu n’as qu’à lui dire que je te recommande. 

J’eus un pincement au cœur à l’idée que ce serait impossible. Puisque j’avais promis d’être discrète, je me contentai d’un remerciement neutre et raccrochai. En périphérie de mon champ de vision, le pékan se faufila de roche en roche pour s’approcher de nous, à bonne distance des traces de sang. Je jugeai plus sage de le laisser faire que de signaler sa présence aux enquêteurs – et devoir expliquer comment je connaissais un animal sauvage. Je me tournai vers Malaïka. 

– J’ignore s’il s’agit de la victime, mais je pense que la chaloupe appartient à un certain Tristan O’Kelly. 

Les deux enquêteurs échangèrent un regard entendu. 

– Qu’est-ce qui vous fait dire ça? me demanda Boisvert. 

Je pointai les symboles. 

– Les druides font partie de la communauté surnaturelle, et ils partagent beaucoup de points communs avec les Shamans : leur magie est liée à la nature et ils agissent en tant que dépositaires du savoir et de la sagesse parmi les leurs. Les druides descendent des Celtes, d’où l’utilisation des runes. Dans leur culture, le sanglier représente l’autorité spirituelle. 

– Un gourou, conclut-il. 

Je grimaçai à cette généralisation. 

– Je n’irais pas dans cette direction. Selon ma source, Tristan O’Kelly serait aussi notaire. Rien d’étonnant. Philosophie, théologie, droit, histoire, les druides s’intéressent à bien des aspects de la vie en société. Ce ne sont pas forcément des officiants religieux. 

À la moue de l’enquêteur, je devinais que mes explications ne l’avaient pas convaincu. Malaïka intervint. 

– Dans tous les cas, je suis impressionnée par l’efficacité de ton réseau. 

J’allais la mettre en garde de vérifier l’information avant d’agir, mais elle agita la main vers la chaloupe. 

– On a trouvé les pièces d’identité de monsieur O’Kelly dans la boîte de matériel de pêche. 

Je fronçai les sourcils, perplexe. 

– Pourquoi m’avoir fait venir, alors? 

– On espérait que tu pourrais nous dire quel genre de créature blesse ses victimes de la sorte. On sait que l’attaque a eu lieu en plein milieu de la nuit. 

Je reportai mon attention sur la mare de sang au fond du bateau. Malaïka avait été affectée à la Côte-du-Sud en raison de ses déboires avec le nid des vampires de Montréal. Je me doutais donc qu’en présence d’éléments surnaturels, ses soupçons avaient immédiatement pris cette direction. 

– Quoi que ce soit, ce n’était pas un suceur de sang, les informai-je. 

– Trop de gâchis ? suggéra Malaïka. 

J’acquiesçai. À ma connaissance, les vampires opéraient avec une attention maladive aux détails. Leur survie dépendait de leur anonymat, à la manière d’un loup dissimulé au milieu d’un troupeau de brebis : aussitôt la charade démasquée, leur garde-manger se dérobait. En Europe, les luttes de territoire entre nids avaient laissé des traces indélébiles dans les livres d’histoire, même si n’en subsistaient que les noms des laquais humains : Borgia, Tudor, Médicis. En Amérique, les maîtres vampires avaient pris soin de s’installer à distance respectueuse les uns des autres. Je réfléchis à voix haute : 

– Entre les empreintes de sabot et les traces de griffe, la piste du métamorphe demeure la plus plausible, bien que ça n’identifie pas de suspect en particulier. 

L’expression de l’enquêteur Boisvert devint tout à coup très neutre, Malaïka se mordit les joues et je haussai un sourcil interrogateur. Les policiers de la région avaient reçu une formation sur la communauté surnaturelle quelques semaines plus tôt. Le conférencier n’avait été nul autre que Baptiste Rodrigue, le Bonhomme Sept Heures en personne. Mon petit doigt me disait qu’il n’avait certainement pas pris la peine de les informer de son alias ni qu’avant l’arrivée du Windigo dans le portrait, il avait agi en tant que croque-mitaine officiel. Car pour obliger les monstres à garder le rang, il fallait plus que des promesses et des menaces.  

– Votre formateur n’a pas mentionné l’existence des métamorphes lors de votre séance d’information? 

L’enquêteur Boisvert jura tout bas. Je ne pus m’empêcher de sourire devant sa déconvenue, même si sa position n’avait rien d’enviable. Malaïka détourna la tête, de toute évidence pour contenir son amusement, et je devinai que le problème n’était pas vraiment l’information transmise par le formateur.  

– Vous refusiez d’y croire, c’est ça? 

Il me lança une œillade sévère et je levai les mains en guise de défense. 

– Je ne vous le reproche pas. Il m’arrive de regretter la béatitude de l’ignorance. 

Une sonnerie de téléphone coupa court à la discussion. Malaïka marmonna des excuses et s’éloigna pour répondre. Ses épaules se raidirent tandis qu’elle écoutait son interlocuteur. Elle me servit un regard insondable, puis elle attira l’attention de son collègue d’un signe du menton. Leur communication silencieuse devait contenir des éléments qui m’échappaient, car il m’offrit un sourire poli, me remercia de mon temps et me précisa qu’ils me contacteraient s’ils avaient d’autres questions. Il m’indiqua le chemin du retour en écartant la main. Tous les poils de mon corps se hérissèrent à ce congédiement cavalier. Je n’avais pas survécu un siècle et demi pour me laisser berner par ses bonnes manières : Malaïka venait de recevoir une information qu’ils ne souhaitaient pas me transmettre.  

J’inspirai et lâchai prise sur ma frustration. Je ne voulais pas non plus provoquer une scène, car notre collaboration me semblait aussi fragile que primordiale. Mes yeux balayèrent la grève, à la recherche d’un élément auquel me raccrocher : une révélation, un indice, n’importe quoi. Le bout de la queue du pékan frétilla sous les branches et une idée germa dans mon esprit.  

Avec un sourire pincé pour l’enquêteur Boisvert, je pris les devants. Je marchai à pas lent pour éviter de trahir mes réelles intentions. Je lançai mes sens vers le pékan et mon esprit toucha le sien aussitôt. Je tissai une mélodie à l’aide de ma magie, à mi-chemin entre la manipulation et le charme. Je murmurai et soufflai dans sa direction comme la brise du matin. Je l’enrobai d’une étreinte réconfortante, j’avais besoin de son aide – et de ses oreilles. Le pékan bondit dans son empressement d’acquiescer à ma demande. Je relâchai ma respiration avec discrétion, grisée par ce succès. Ma perception du monde se dédoubla, et soudain, je voyais, j’entendais et je sentais une myriade de détails. Le sol se trouvait à quelques centimètres de mon museau et l’herbe, odorante et fraîche, effleurait mon pelage. Je ralentis encore un peu le pas, faisant mine de choisir mon chemin avec soin. L’enquêteur Boisvert soupira derrière moi, sans qu’il intervienne pour autant.  

Je dirigeai le pékan vers Malaïka. Il inclina la tête à son nom et je lui envoyai l’image de la femme à la peau ocre et aux cheveux sombres. Mon complice confirma sa compréhension en me fournissant une étiquette olfactive surprenante : un mélange à la fois floral et épicé. Il glissa entre les arbrisseaux et rampa jusqu’à l’endroit où se tenait Malaïka. L’ouïe fine du pékan capta sa voix sans difficulté. Je me concentrai encore un peu plus, car les paroles ne faisaient pas particulièrement de sens pour lui.  

– Savez-vous sur quoi portait leur dispute? … Possible. Je suis prête à gager ma prochaine paye que Zacharie Morgan est un surnat’, vu son association avec Viviane Cormoran. … Non, il vaudrait mieux que ce soit moi qui l’interroge. Il me connait déjà ; il risque moins de se méfier. … Boisvert raccompagne madame Cormoran à son véhicule en ce moment même. Soit elle n’a pas connaissance de la possible implication de Morgan, soit elle n’a pas été honnête avec nous. 

La consternation me balaya. Une porte invisible claqua dans mon esprit et mes sens bourdonnèrent de la perte soudaine de toute cette clarté, la connexion avec le pékan était rompue. Je clignai des yeux et me retrouvai aux abords du stationnement. Encore un peu sous le choc, je souhaitai à la fois bonne chance et bonne journée à l’enquêteur Boisvert avant de me rendre au Combi. Je ne sais par quel miracle je réussis à démarrer et prendre la route dans le calme le plus parfait. Ce ne fut qu’une fois sur l’autoroute que j’enfonçai la pédale d’accélérateur en direction de Saint-Henri.  

Je ne resterais pas les bras croisés alors que la police soupçonnait Zacharie de meurtre ! Qu’il le veuille ou non. 

La boutique en ligne est arrivée

Un petit pas pour moi, un grand pas pour mon lectorat! Ça y est, ma boutique en ligne est prête à vous accueillir. Je suis fébrile, car c’est une façon pour moi de me rapprocher de vous et de vous offrir une expérience unique en lien avec mes livres et mes univers. 

Je n’avais jamais vraiment mis ce projet à mon calendrier. Je savais que je me pencherais sur l’idée un jour, mais sans plus. Cependant, dans la dernière année, avec des Kickstarter sans précédent comme celui de Brandon Sanderson (41,8 millions pour 4 romans surprise), toute la communauté des auteurs indépendants discute des façons de rejoindre nos lecteurs et nos lectrices sans passer par un intermédiaire (comme Amazon). D’ailleurs, au cours de la dernière année, j’ai vu plusieurs de mes amies autrices du groupe des Plumes de l’imaginaire mener à bien des campagnes de sociofinancement avec succès. Si une part de moi les enviait et voulait les imiter, j’ai vite déchanté devant une contrainte majeure : les frais de transport du Québec vers la France sont astronomiques (pas de tarif préférentiel pour les livres). Et puis qui veut être responsable d’une double dose de gaz à effet de serres? Avec la majorité de mon lectorat outre-mer, mon idée prenait l’eau…  

Jusqu’à ce que j’entende parler d’un imprimeur à la demande basé à la fois aux États-Unis et au Royaume-Uni. Je suis donc partie à la chasse aux informations, j’ai rôdé sur les boutiques en ligne d’autres autrices, j’ai regardé plusieurs tutoriels. Et tadam! 

Je peux dorénavant vous offrir en exclusivité la trilogie Windigo au format relié, de même que plusieurs goodies à l’effigie de vos séries préférées! (Pas d’inquiétude, les formats ebook et broché sont toujours sur Amazon). J’ai sondé les abonnés de l’infolettre et j’ai créé les tasses de Viviane les plus en demande. 

D’ailleurs, il n’est pas trop tard : répondez-vous aussi au sondage pour réclamer vos slogans préférés! 

Pour l’instant la sélection offerte est assez limitée, surtout au niveau des romans. L’écriture reste ma priorité, alors je procède par étape. Je suis certaine que vous comprenez (surtout si vous faites partie de celles qui trépignent d’impatience pour le tome 4 de La Coureuse des grèves 😉). 

Un dernier argument pour vous convaincre de visiter ma boutique? C’est une excellente façon de m’encourager dans l’immédiat! Vous ne le savez peut-être pas, mais Amazon met 60 jours à verser les royautés accumulées, contre moins de 48 h pour la boutique en ligne. Si vous voulez contribuer à financer la prochaine couverture de roman ou encore pour me payer un café, profitez-en pour vous gâter en même temps avec un magnet de La Coureuse des grèves, un mug de La Proie du Windigo ou encore des marque-pages de la série. 

Rien de tout ceci ne ferait de sens sans vous, alors encore une fois, je vous remercie de faire partie de l’aventure! 

Bilan – 4 ans

Voici que se conclue la quatrième année de cette aventure! J’adore ce moment où on ralentit pour regarder en arrière pour ensuite mieux planifier la suite. Chacune de ces années ont été marquées par une trilogie différente, et cette fois, il s’agissait de La Coureuse des grèves. Le prélude sortait au moment où j’écrivais le bilan de l’an 3. Cette année, je vous offre une anthologie de nouvelles dans l’univers du Windigo! 

C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai renoué avec mon univers de fantasy urbaine. La Coureuse des grèves tend définitivement plus vers le Cozy mystery, mais la série rassemble mes éléments préférés du folklore québécois et du monde surnaturel. Je me suis limitée à des récits plus courts et tricotés serrés, ce qui m’a permis d’en sortir 3 en 1 an : le tome 1 en février, le tome 2 en juin et le tome 3 en octobre. À ce stade, Viviane garde à peine la tête hors de l’eau, et je prévois encore 2 tomes pour boucler cette histoire. Mouhaha… ahem! 

En avril, j’ai offert le même traitement à La Chronique des Joyaux qu’à Windigo et j’ai mis sur pied une version intégrale avec une couverture rigide. Les ventes n’ont pas décollé de la même façon, et je vous mentirais si je vous disais que ça ne m’a pas un peu déçue… Par contre, c’est un de mes meilleurs vendeurs ces derniers mois, aussi je pense que c’est en lien avec le genre littéraire. Les ventes sont moins fulgurantes, mais elles sont stables. La moyenne des évaluations reçues est parmi les meilleurs de tous mes romans confondus, ce qui signifie que la qualité du texte n’est pas en cause. C’est un bon rappel qu’il faut rester zen, et je suis ravie que cette série fasse son chemin tout doucement. 

Au cours de l’automne, j’ai écrit le tome 4 de La Coureuse des grèves, et j’ai repris des personnages qui existaient déjà dans l’univers, sans toutefois qu’ils apparaissent dans l’une ou l’autre des séries principales. Il se posait alors le problème d’accessibilité pour certaines personnes au sein de mon lectorat. J’en suis arrivée à la conclusion qu’une l’anthologie de nouvelles s’imposait. Puisque ce n’est pas le genre de projet qui attire les foules, je ne m’attends pas à une rentabilité à tout casser. J’ai donc choisi de confectionner la couverture moi-même. De fil en aiguille (après beaucoup trop d’heures à jouer dans les banques de photos et sur les outils de graphisme), j’ai pondu une nouvelle mouture pour la série complète. J’y réfléchissais depuis un moment, en sachant que les couvertures de la trilogie différaient de celles qu’on observe dans le top 100 de ce genre littéraire. Celles-ci ne sont pas vraiment non plus dans le mille, mais au moins la série est homogène avec l’anthologie. 

L’an dernier, j’avais mentionné l’ajout d’une collaboratrice, Nathy d’Eurveilher, une éditrice free-lance. Malgré son horaire chargé et plusieurs imprévus personnels et professionnels, elle a toujours adapté son horaire au mien. De toute évidence, je suis la championne des délais serrés, mais je ne réalisais pas à quel point jusqu’à ce que je mesure les impacts sur elle. Et sur moi. On n’est jamais à l’abri d’un souci de santé (ou d’une grève du personnel enseignant de nos enfants… T_T heeeeelp). Pour les projets à venir, j’ai donc rallongé certains délais. Et si ça ne parait pas à prime abord, c’est l’an prochain que les effets se feront sentir. Rassurez-vous cependant, car même si la machine à mots ralentit la cadence, la machine à idées roule à toute vitesse! En plus des tomes 4 et 5 pour conclure La Coureuse des grèves, j’ai une nouvelle trilogie presque entièrement planifiée, en plus d’un concept pour 2 trilogies supplémentaires. Oui, vous avez bien lu : plus de 9 livres se battent pour le temps d’antenne dans ma tête… 

C’est donc avec la plus grande des convictions que je vous informe que le meilleur est à venir! L’aventure se poursuit et je suis fébrile de partager avec vous le point culminant de la saga La Coureuse des grèves. Comme toujours, je tiens à remercier ma famille, mes proches, mes amis, mes collègues, mais surtout vous, chers lecteurs, chères lectrices! Rien de tout cela ne serait possible sans la contribution, le soutien et les encouragements de chacun d’entre vous. 

Et en nerd assumée, voici l’année en chiffre :  

1 nouvelle bonus dans l’univers de La Coureuse des grèves 
1 intégrale publiée pour la série La Chronique des Joyaux 
3 romans publiés en français pour un total de 12   
7 articles de blog    
315 abonnés Instagram, soit 93 nouveaux   
361 abonnés Facebook, soit 41 nouveaux  
459 abonnés à l’infolettre, soit 136 nouveaux 
735 pages publiées   
Près de 6 000 copies vendues en 2023, pour un total de plus de 17 000 !!!  
171 000 mots écrits, révisés, corrigés et édités – ma 2e meilleure année depuis 2019 

Une anthologie pour la série Windigo

J’ai une excellente nouvelle pour les fans des séries Windigo et La Coureuse des grèves : c’est au tour de cet univers d’obtenir son anthologie de nouvelles, à l’image de la série Dominix Kemp! Si vous me suivez depuis un moment, vous savez que ces histoires courtes me servent à explorer les différents personnages pour étoffer mon univers.  

La plupart sont offertes gratuitement à l’adhésion de l’infolettre, mais une lectrice m’a déjà confié qu’elle ne lisait qu’au format papier, et qu’elle était déçue de ne pas pouvoir lire ces histoires. Bon, ce n’est pas la fin du monde considérant que la vaste majorité d’entre vous me lise au format ebook, mais cette idée m’a trotté dans la tête depuis ce jour, parce que j’apporte une certaine importance à l’accessibilité de mes histoires. J’ai donc trouvé le temps cet automne de compiler, réviser et uniformiser les nouvelles pour les regrouper dans un seul tome. Cette anthologie sera disponible à l’achat au format ebook et papier dès le 7 décembre 2024. 

J’ai décidé de faire d’une pierre deux coups : comme j’allais déjà me casser la tête produire une couverture pour cette anthologie, j’en ai profité pour revamper la série au complet! Pour les collectionneurs et les amoureux de l’esthétisme, vous pouvez dès maintenant vous procurer cette nouvelle mouture de la série Windigo! 

Outre ces considérations, il y a aussi une autre raison qui m’a poussé à créer cette anthologie. Une des nouvelles, L’éveil, a été publiée dans un recueil éphémère et il n’est plus en vente. Toutefois, le personnage principal de cette histoire, une Shaman dénommée Lou Ann, occupera un rôle important dans le tome 4 de La Coureuse des grèves. Sans compter que le démon Belmore, qu’on croise dans la nouvelle La mangeuse d’âmes et La Proie du Windigo, sera aussi présent. Et on peut aussi penser à Sorcha qui tient la vedette dans Foudre mystique et qu’on retrouve dans le tome 3 de La Coureuse des grèves. Bref, mon cerveau s’amuse à former des liens, et je ne voulais pas créer de la confusion inutilement chez les lecteurs et les lectrices. 

Pour récapituler, si vous avez déjà lu toutes mes histoires depuis le début, que vous avez téléchargé tous les bonus, que vous avez acheté les deux recueils, alors l’achat de cette anthologie n’est peut-être pas nécessaire dans votre cas. Mais si vous aimez la simplicité et l’ordre, que vous voulez posséder toute la série, que ce soit en ebook ou au format papier, alors foncez! 

D’ailleurs, cette anthologie, tout comme celle de Dominix Kemp, est disponible sur toutes les plateformes comme Apple Books, Kobo, Vivlio et bien d’autres. Elle n’est cependant pas offerte dans l’abonnement Kindle Unlimited, car je devrais alors cesser d’offrir les nouvelles gratuites à l’adhésion de l’infolettre. Merci de votre compréhension!

Un extrait pour Le ressac meurtrier

Viviane est de retour avec le tome 3 de La Coureuse des grèves! La sortie est prévue le 19 octobre 2023. Je suis fière du travail accompli avec cet opus, car je vois les progrès faits au niveau de ma plume et dans la maîtrise du cozy mystery.

Dans Le ressac meurtrier, je vous promet une mort mystérieuse, une enquête pour vous tenir en haleine, des suspects belliqueux et plusieurs surprises. À la fin du tome 2, Viviane en a appris plus sur sa véritable nature, et cette vérité ne pourra pas être balayée sous le tapis. On a aussi quelques détails anodins depuis le début de la saga qui pourraient bien prendre tous leur sens. Je n’en dis pas plus.

Pour ceux et celles qui m’en ont voulu pour l’interlude interrompu sous la douche, j’espère que vous trouverez votre compte dans ce tome… ou pas! J’ai encore été vilaine, hé hé. Et pour les lecteurs hors-Québec, Michel vous réserve de superbes répliques hautes en couleur. En résumé, je me suis bien amusée.

Je vous laisse sur le premier chapitre (est-ce que je vous ai dit que j’étais fière de cette première phrase? = D). Bonne lecture!


Ce matin-là, le fleuve déposa un cadavre à mes pieds.  

Mes yeux avaient mis un moment à identifier la masse ballotant entre les rochers. En plein mois de février, les glaces recouvraient presque tout. Un redoux la semaine précédente avait délogé d’énormes blocs et le rivage ressemblait à une zone de guerre. Même avec mon aisance naturelle, j’avais dû me résigner à enfiler des crampons sur mes bottes. La pluie et les températures plus clémentes avaient libéré une partie du rivage de sa prison givrée. Une large bande bleu-gris courrait entre la berge et la croûte ravagée.  
Le corps gisait dans ce canal exempt de glace. 

Mon souffle se condensa devant mon visage, les fumerolles emportées par un vent mordant. Mon hésitation ne dura qu’une fraction de seconde avant que mes pieds trouvent le chemin le plus sûr entre les rochers. Le redoux récent avait été suivi d’un froid aussi intense que soudain. Chaque creux et vallon s’était transformé en piège aux arêtes tranchantes. Un faux pas me vaudrait une jolie entaille en guise de souvenir. 

De plus près, les traits m’apparaissaient masculins. La parka imbibée d’eau masquait les contours de la silhouette, et sa couleur vibrante contrastait avec la pâleur de la peau. Même si l’état du corps ne laissait planer aucun doute, j’étirai mes sens tout autour à la recherche d’une étincelle de vie. L’étreinte glacée de l’eau déclencha des frissons dans tous mes membres. Le fleuve connaîtrait bientôt ses jours les plus froids de l’année. Les découvertes macabres sur les berges se limitaient généralement à la période de mai à octobre. Le reste de l’année, les courants et le froid gardaient les morts captifs des eaux. La présence de ce corps en ce matin d’hiver ne faisait aucun sens. 

Les yeux fermés, je bravai la froidure pour contacter le manitou du fleuve. Pour l’avoir déjà sondé, je doutais d’obtenir des réponses claires, car l’esprit du Saint-Laurent incarnait l’immensité. Sa présence englobait tant d’essences vitales et d’existences variées, et ce sur des centaines de kilomètres, que ses pensées ne ressemblaient en rien à celles des autres créatures de ma connaissance.  

Sa présence roula à la limite de ma perception, puis son attention glissa vers le corps à mes pieds. Je tendis les mains, paupières closes, et sa tristesse imprégna le contact. Des regrets? Il n’avait pas eu l’intention de happer cette vie. Une autre sensation fusa, semblable à une étoile filante, fugace et émouvante. Justice. Le fleuve voulait rétablir un tort.  

Je restai indécise un moment, perchée entre deux affleurements rocheux. Enfin, je sortis mon smartphone de ma poche et contactai le service d’urgence. J’aurais certainement pu faire une déclaration anonyme, mais l’impression laissée par le manitou m’incita à attendre l’arrivée des autorités pour les mener jusqu’à ma découverte, puis à répondre à leurs questions, puis à raconter ma matinée encore et encore.  

Ce qui devait être une rapide balade matinale se transforma en plusieurs heures d’attente et d’interrogatoire. Heureusement, j’avais enfilé mes habits les plus chauds – vêtements thermiques en laine de mérinos, tuque1, cache-cou, moufles de ski, jusqu’au pantalon doublé. Malgré tout, le froid avait eu raison de mes précautions et des frissons intermittents me parcouraient le dos lorsque je regagnai enfin le manoir. 

La neige recouvrait les parterres de fleurs en une masse blanche informe. Quelqu’un avait gratté l’allée avec soin depuis mon passage tôt ce matin. Je fronçai les sourcils. Le manoir n’accueillait en ce moment qu’un invité, en plus de Florence qui avait choisi d’y passer l’hiver. J’espérais que la vieille dame ne s’était pas esquintée à jouer de la pelle : avec la chute des températures, la neige s’était transformée en masse compacte et difficile à manœuvrer, sans compter que les congères atteignaient mes épaules. Ce n’était pas impressionnant en soi en raison de ma petite taille, mais Florence me dépassait à peine.  

Mon regard s’attarda sur les larges empreintes de bottes qui parsemaient l’allée. Je pivotai pour étudier l’entrée, et assurément, j’y trouvai les sillons laissés par une voiture. Florence avait dû appeler Ben, notre voisin, en renfort. En raison de sa nature de géant de pierre, la léthargie hivernale le rendait plus casanier qu’à l’habitude, mais il insistait pour donner un coup de main avec l’entretien du manoir, peu importe la période de l’année. 

Mes doigts effleurèrent la rambarde de la galerie en grimpant les marches. Le manoir craqua et grinça en guise de salutation. Un sourire étira mes lèvres. Si on m’avait dit l’an passé à pareille date que je serais aussi attachée à une résidence, je ne l’aurais jamais cru. La porte s’ouvrit alors que je secouais mes bottes sur le paillasson. Florence apparut dans l’ouverture, ses cheveux aussi blancs que le paysage, mais son sourire bien plus chaleureux. 

– Tu dois être frigorifiée, ma pauvre Viviane! me salua-t-elle. J’ai préparé du chocolat chaud. 

Je m’empressai de refermer la porte derrière moi et de retirer mon manteau. 

– Je suis désolée de m’être absentée si longtemps, dis-je en la suivant dans la cuisine. 

Elle agita une main pour chasser mes excuses. Après mon coup de fil aux autorités, j’avais averti Florence, même si à ce moment, je ne pensais pas que les policiers me retiendraient aussi longtemps. Tout de même, l’apparition d’un corps flotté avait de quoi rendre perplexe tout le monde. Sans compter l’intervention du manitou, que je pouvais difficilement expliquer aux enquêteurs. Mon attention se détourna de ces sombres considérations à la vue de la plaque de biscuits tout juste sortis du four. J’en attrapai un et mes yeux se fermèrent de satisfaction à la première bouchée à la fois tiède, croustillante et tendre. Je mis une main sur mon cœur et m’inclinai à l’intention de Florence, la bouche trop pleine pour parler. Ses yeux pétillèrent tandis qu’elle se penchait vers moi pour chuchoter. 

– Ces biscuits ont failli être aux raisins. Fayette a encore fait des siennes : il a échangé les pépites de chocolat pour les raisins secs dans le garde-manger. 

Je haussai les sourcils avant d’ouvrir le battant pour inspecter les tablettes. Le reste des ingrédients semblait épargné, heureusement. Le petit korrigan était arrivé au manoir en octobre dernier. Notre relation avait mal commencé, mais grâce à quelques conseils judicieux de Florence, j’avais amadoué le lutin et il avait établi son nid dans les combles. Il lui arrivait de protester contre certains changements de décor ou de routine, comme les décorations de Noël, ou les soirées tardives. Il s’assurait de nous témoigner son désaccord par des moyens détournés, sans que personne ne le prenne sur le fait. Nous en étions à trois frasques en autant de jours. Un soupir m’échappa et je refermai le garde-manger. Je finirais bien par trouver ce qui le dérangeait. 

– Et notre invité? demandai-je. 

– Il est retourné faire une sieste après le repas de ce midi. Son humeur s’est améliorée, mais il se fatigue vite. 

Je hochai la tête en réponse, peu surprise. Un renard traqué par une meute de chiens aurait eu meilleure mine que Joël à son arrivée. Son épuisement avait presque masqué sa nature de mage à mes sens. Florence s’affaira à placer les biscuits dans des boîtes, mais aux coups d’œil qu’elle me jetait, je devinais sa curiosité. Ma faim à peine assouvie par le biscuit, je fouillai dans le frigo et en sortis l’assiette qu’elle avait mise de côté à mon intention. Quelques secondes plus tard, elle reprit : 

– La police a-t-elle identifié le corps? 

– Si oui, les agents se sont bien gardés de me le dire. Mais je pense que c’est trop tôt. Le séjour dans l’eau n’a pas aidé l’apparence de la victime, et ce n’est pas comme si elle avait son permis de conduire dans ses poches. 

Je haussai les épaules, aussi curieuse qu’elle, mais résignée à ne jamais connaître le fond de l’histoire. Florence retroussa le nez, loin de se laisser décourager. 

– Je vais surveiller les nouvelles. On finira sûrement par avoir des détails. 

J’acquiesçai entre deux bouchées. Cette macabre découverte avait retardé mes projets de la journée. Mon après-midi s’annonçait bien rempli, car nous aurions une pleine tablée pour le souper. Deux semaines plus tôt, j’avais offert à Florence d’inviter quelques personnes pour son anniversaire, et ses yeux s’étaient remplis de larmes sous le coup de l’émotion. À l’écouter, on aurait dit que j’avais proposé d’organiser un bal formel, alors qu’en réalité, seuls Ben et Zacharie viendraient nous rejoindre, de même que notre invité du moment. Elle avait insisté pour confectionner son propre dessert, ce que j’avais d’abord refusé, jusqu’à ce qu’elle m’annonce son choix : un mille-feuille. Avec du véritable fondant et de la crème pâtissière (et pas de la costarde bon marché). Confectionnés maison, de A à Z.  

Si je me débrouillais assez bien en cuisine, le défi m’avait fait hésiter. Heureusement, Ben avait offert son aide à Florence et suggéré que je me concentre sur le plat principal. L’offre m’avait semblé raisonnable. J’avais jeté mon dévolu sur une fondue chinoise4. Ainsi, je n’aurais pas de viande à cuire, seulement les accompagnements et les sauces à préparer. Comme les plaques de pâtes feuilletées devaient refroidir avant d’être garnies, Florence n’aurait pas besoin de la cuisine d’ici les prochaines heures. J’en profitai pour réaliser mes préparatifs. Florence s’installa dans sa bergère, placée en angle dans le coin de la pièce exprès pour qu’elle puisse me tenir compagnie en de telles occasions.  
Ses aiguilles à tricoter cliquetaient tandis qu’elle chantonnait tout bas. L’écharpe sur laquelle elle travaillait gondolait d’une manière qui ne me semblait pas tout à fait planifiée, mais la couleur émeraude accrochait le regard et faisait oublier les défauts de maille. Baka nous rejoignit alors que je terminais de couper les légumes pour la salade. L’énorme chat au pelage sable marcha d’un pas lent jusqu’au milieu de la pièce. Le nez dans les airs, les moustaches frémissantes, il inspecta mon travail. Je secouai la tête à sa question muette. Aucun des aliments sur le plan de travail ne trouverait grâce à ses yeux. Sa queue fouetta l’air, témoignant de son agacement, puis il prit la direction du calorifère. Il s’étala de tout son long au pied du radiateur en fonte, tel un sphinx, les yeux plissés pour mieux surveiller la progression de mes préparatifs. 

Je m’attelai à la confection des sauces : une au cari, une autre saveur miel et dijon, il en faudrait au moins une plus piquante, puis une dernière plus fraîche à la menthe et au concombre. Je terminais de ranger les bols au frigo lorsque trois petits coups retentirent à la porte d’entrée. Sans délai, la porte s’ouvrit et la voix de Ben résonna : 

– Les renforts sont arrivés! 

Florence mit son tricot de côté et se leva au moment où notre voisin traversait l’arche. La tête du géant frôlait presque la poutre. Sans son glamour, il aurait été incapable de se déplacer dans le manoir. Après trois mois d’hibernation, Ben commençait à reprendre un rythme plus normal, au fur et à mesure que les journées rallongeaient et que la température se réchauffait. Même s’il nous restait plusieurs tempêtes à essuyer, et sûrement quelques journées de grands froids, j’attendais le retour du printemps avec impatience. Ce serait la première fois depuis plus d’un siècle que j’aurais mon propre potager à préparer. 

– Où est la fêtée? Tu es radieuse, dit-il en se penchant pour faire la bise à Florence. 

– Merci, mais tu sais que la flatterie n’est pas nécessaire pour obtenir une deuxième portion de dessert. 

Son sourire coquet démentait ses paroles. Il lui tendit le paquet qu’il avait tenu niché au creux de son bras. Florence s’extasia et j’étirai le cou pour mieux voir ce qu’elle avait dégagé du papier cadeau.  

– Des violettes africaines bicolores, précisa Ben. Je les ai gardées bien au chaud dans ma serre depuis l’automne en prévision de ce grand jour. 

Florence lui fit la bise à nouveau pour le remercier. Je lui pointai la fenêtre avec le meilleur ensoleillement, juste au-dessus d’un radiateur, tandis que Ben me rejoignait. J’essuyai mes mains avant de lui faire la bise à mon tour. Son regard survola le plan de travail et il haussa les sourcils.  

– Ce sera un véritable festin! 

– Les invités ont une bonne fourchette. Je ne voudrais pas que quelqu’un reparte le ventre vide, le taquinai-je.  

Le manoir soupira et je levai le nez, curieuse de savoir ce qui l’avait fait réagir. Quelques secondes plus tard, le plancher de l’étage craqua puis les planches de l’escalier grincèrent. Mon invité du moment descendit les marches, les yeux encore lourds de sommeil. Ses cheveux noirs en épis et les traces d’oreiller sur ses joues lui donnaient un air gamin. Sa silhouette sinueuse renforçait cette impression de jeunesse, aussitôt démentie lorsqu’on croisait son regard. Dans les profondeurs de ses iris bruns se devinaient des années d’épreuves et d’embûches.  

– Bonjour Joël, le saluai-je. Besoin d’une collation pour tenir jusqu’au souper? 

– Je prendrais bien un thé, dit-il avec un sourire gêné. 

Mon cœur se réchauffa de l’entendre verbaliser ses souhaits avec plus d’aisance qu’à son arrivée. Je pivotai pour mettre la main sur la bouilloire, au moment où la minuterie du four sonnait. Ben me lança un coup d’œil interrogateur. 

– Les pommes de terre doivent être retournées, indiquai-je. 

Avec un hochement de tête, il ouvrit la porte du four et se mit à la tâche, mains nues. Je réprimai une grimace, même si je savais qu’une épaisse couche de corne recouvrait les mains du géant. J’avais quand même quelques réticences à le voir faire.  

Quelques secondes plus tard, je regrettai de ne pas avoir insisté : lorsque Joël arriva au comptoir, Baka bondit en feulant. Il courut entre l’îlot et le comptoir comme si le diable lui-même le pourchassait. Je sursautai et faillis renverser la boîte de sachets de thé. Ben eut moins de chance. À ma réaction, il avait pivoté pour me lancer un coup d’œil, à l’instant où Baka se faufilait entre ses jambes. Pour éviter d’écraser le Maine coon, il projeta son poids vers l’avant. Directement dans le four grand ouvert. Son bras entra en contact avec l’élément chauffant et il gronda de douleur alors qu’une odeur de chair brûlée se répandait.  

J’abandonnai le thé sur le comptoir et ouvris le robinet à pleine puissance. Ben s’était figé, le regard sur sa blessure. Je le poussai vers l’évier et dirigeai son bras sous l’eau. Des lambeaux de peau s’agglutinaient autour de la plaie déjà pourpre. Il siffla entre ses dents au contact de l’eau froide, et son visage se contorsionna de douleur. Derrière nous, j’entendais Florence s’exclamer, inquiète, et Joël offrir son aide.  

Une brûlure au troisième degré dépassait mes facultés de guérison en tant que nymphe. Mais pas celles d’une enchanteresse. Personne d’autre n’avait vu la plaie, et avec un peu de chance, le choc pousserait Ben à faire abstraction de l’état initial de sa blessure. Après une profonde inspiration, je puisai dans les réserves du pouvoir obscur.  
Depuis mon retour de Pohénégamook, il restait près de la surface, toujours à quelques secondes près de réagir. Comme il s’était contenté de manifestations anodines depuis, je n’avais pas fait l’effort de le pousser dans ses retranchements. Malgré tout, son potentiel destructeur restait une menace tangible, et je me doutais que le jour viendrait où cette bombe métaphorique me sauterait au visage. 

L’énergie remonta de mon ventre vers ma poitrine avant de se diffuser dans mes membres. Je canalisai mon attention vers le bras de Ben, toujours plongé sous l’eau. La présence de mon élément de prédilection permit à la magie de circuler plus vite. Sans même fermer les yeux, je sentis le pouvoir obscur recouvrir la blessure. Il l’enroba et imprégna la peau abîmée pour stimuler la guérison, offrant ses ressources pour pallier celle du corps. En quelques secondes, la peau se reforma, pâlit et retrouva une apparence saine. Ben cligna des yeux à quelques reprises, puis il ferma l’eau. Je reculai d’un pas et attrapai un linge propre pour le lui tendre. Il tourna son bras d’un côté et de l’autre.  

Je me figeai en réalisant que je n’avais pas demandé sa permission. J’aurais dû lui donner le choix avant de passer à l’action. J’avais agi d’instinct. Par moment, j’avais l’impression que la proximité du pouvoir obscur voilait mon raisonnement. Comme s’il conspirait pour m’inciter à faire appel à ses ressources. Je m’éclaircis la gorge avant de présenter mes excuses à Ben : 

– J’ai agi sur l’impulsion du moment, mais avec toute cette eau, c’était une affaire de rien. 

Le mensonge glissa de mes lèvres comme un poisson entre les mains d’un enfant. En tant que nymphe, la guérison mineure faisait partie de mon arsenal. Un coup de soleil aurait été l’affaire de rien pour une de mes semblables. Je n’aurais pas dû être capable de faire disparaître toute trace de la blessure. Ben tapota son bras avec le linge et sourit avec gratitude. 

– Tu viens de m’épargner une virée aux urgences. 

Florence contourna l’îlot pour observer la peau à peine rougie de Ben. 

– On a évité le pire, constata-t-elle avec soulagement. Je ne sais pas ce qui a énervé Baka à ce point. 

Ben haussa les épaules en lui assurant que les motivations des chats restaient un mystère, même pour les chats. La crise évitée, et l’attention détournée de mes facultés de guérison, je sortis des tasses et repris où j’en étais avec le thé de Joël. Les bras croisés, ce dernier observait Ben avec une expression songeuse. Je m’efforçai de lui sourire lorsque je lui tendis la tasse où on pouvait lire « Remplie de bonnes intentions ». 

– La guérison est un pouvoir difficile à maîtriser, remarqua-t-il. C’est une faculté qui m’aurait épargné bien des tragédies par le passé. 

Mon visage se crispa. Je coulai un regard vers Ben et Florence qui s’étaient lancés dans le montage du mille-feuille. Florence leva brièvement les yeux vers nous sans s’arrêter dans ses directives, accaparant toute l’attention de Ben. Avec un peu de chance, elle n’avait pas saisi le sous-entendu de Joël. 

– La brûlure était superficielle, répondis-je. J’imagine que tu as remarqué les excentricités du manoir. Il lui arrive d’interférer avec ma magie. En plus, il aime bien Ben… 

Je haussai les épaules, espérant qu’il tirerait ses propres conclusions de mes explications décousues. Je préférais ne pas lui mentir, mais je n’avais pas intérêt à ce qu’il creuse la question. S’il m’arrivait de passer sous silence la nature surnaturelle du manoir auprès de certains invités, Joël avait remarqué dès son arrivée les interactions entre la demeure et ses occupants. Il porta sa tasse à ses lèvres et je me détournai pour ranger la cuisine. Avec un peu de chance, il abandonnerait le sujet. Je me changeai les idées en passant mes préparatifs en revue : il ne me restait plus qu’à chauffer le bouillon et sortir les barquettes de viande finement tranchée, mais ça attendrait à la dernière minute. 

L’eau en périphérie du manoir frétilla. Le froid ralentissait ses réactions, mais pas au point de nuire à ma première ligne de défense. Mon cœur accéléra. Zacharie arrivait. 

Les mystérieuses recettes

C’est notoire, les auteurs aiment explorer des genres littéraires variés, pour le plus grand regret de leur lectorat. Mais j’entends la petite voix sceptique dans votre esprit : “Un livre de recettes, vraiment? Elle exagère.” 

Bon, d’abord, laissez-moi citer Platon : la nécessité est mère de l’invention. Je m’explique! En décembre 2021, notre gouvernement a annulé Noël à quelques jours d’avis. Peu importe ce qu’on en pense, je ne veux pas repartir le débat sur les mesures sanitaires. Je veux plutôt mettre l’emphase sur ma détresse, entre autres, et surtout, à l’idée de ne pas manger chez mes beaux-parents. ^^’ Voilà, vous connaissez mon terrible secret.

Il faut savoir que ma belle-mère est pâtissière de métier et qu’elle témoigne souvent de son amour par ses confections. Chacun se voit offrir son dessert préféré à l’occasion de son anniversaire, et au temps des fêtes, on se retrouve devant un véritable buffet de sucreries, de pâtisseries et de mignardises.  

N’étant pas du genre à jouer les victimes (ou pas très longtemps, dans tous les cas), je me suis retroussé les manches et je me suis attelée au fourneau. Pour me rendre compte qu’il me manquait la majorité des recettes. Vous imaginez mon désespoir…

Dès que le confinement a été levé, j’ai débarqué chez ma belle-mère avec mon pc, déterminée à obtenir toutes les recettes. Et je dis bien, toutes. De la traditionnelle bûche de Noël, en passant par les simples galettes, jusqu’au Paris Brest, je les ai toutes compilées. Ça m’a donné 35 recettes. 

Traditions familiales, recettes québécoises, pâtisserie européenne. J’ai assemblé le fruit de 40 ans de métier et de plaisir. Et je savais que je n’étais pas la seule à vouloir recréer un peu de la magie de la cuisine de ma belle-mère. Une fois qu’on a goûté à ses desserts, ceux du commerce ne trouvent plus grâce à notre palais. 

À l’hiver 2022, j’avais déjà publié plusieurs romans. Publier un livre de recettes ne devait pas être bien différent, non? Mmm, j’ai eu quelques surprises, surtout au niveau de la mise en page des images en pleine grandeur. La frustration a bien failli me faire abandonner. Mais si j’ai démarré ce projet avec une intention purement égoïste, je savais que le livre de recettes ferait la joie de ma belle-mère et de notre famille élargie. J’ai donc persévéré et je suis très contente du résultat final! 

Lorsque je me suis lancée dans la série de La Coureuse des grèves, je voulais lui donner une saveur Cozy mystery. Parmi les thématiques de ce sous-genre, on retrouve les chats, le tricot, mais aussi les arts culinaires. Incorporer les recettes de ma belle-mère m’a apparu comme une délicieuse évidence. Si vous avez eu l’eau à la bouche en lisant les aventures de Viviane, sachez que vous êtes à un clic de vous procurer les recettes originales! 

Le livre Recettes par Dorothée Bélanger – Pâtisserie française et cuisine québécoise est disponible sur Amazon en impression à la demande. Tous les profits sont versés à ma belle-mère. 

Un extrait de Les vagues fugitives

Après 4 long mois d’attente, le tome 2 de La Coureuse des grèves est enfin prêt! Sa sortie est prévue le 22 juin 2023. J’ai énormément de plaisir à écrire dans cet univers et ça paraît dans mon rythme d’écriture. En 8 semaines, j’avais complété le premier jet. o.0

Mais même après plus de 10 romans, je n’ai pas encore atteint la perfection… À la suggestion de mon homme, j’ai dû reprendre pas loin du quart de l’intrigue. Si j’ai eu des pensées peu charitables à son égard sur le moment, je dois dire que le résultat en valait la peine. Cette enquête réunit les meilleurs éléments : mystères, secrets, surprises et rebondissements.

Ne pas oublier le chalet avec une seule chambre. Ha ha! Oups… Que je suis vilaine! J’ai envoyé Zacharie et Viviane sur la route et, malheur, il ne restait qu’un seul endroit disponible pour passer la nuit. Et plusieurs personnages de la série Windigo feront un passage éclair pour votre plus grand plaisir. Je n’en dis pas plus! Je vous laisse découvrir par vous-mêmes dans quel pétrin Viviane s’est encore mis le nez.

Dans cet extrait, la Corriveau a réussi à convaincre Viviane d’assister à une rencontre du conseil des Clans.


Je ne savais trop à quoi m’attendre, mais certainement pas à ce que la rencontre suive les règles d’une assemblée délibérante, avec un secrétaire, un ordre du jour et tout le tintouin. Je regardai les membres lever la main pour proposer et appuyer l’adoption du procès-verbal de la dernière réunion, et je fis un effort pour fermer la bouche.  
De l’autre côté de la table, Ellie m’envoya un clin d’œil complice tandis que Christian annonçait le point suivant. Une demande d’autorisation pour le passage d’invités sur le territoire. Un des membres de l’assemblée prit la parole, présenta les raisons de sa requête et son argumentaire pour qu’elle soit acceptée. Christian demanda le vote. L’opposition d’un des membres fut notée au procès-verbal. Point suivant. 
Je coulai un regard à Marie-Josephte qui écoutait avec une expression polie. Un rire nerveux remonta ma gorge et je l’étouffai en toussotant. Lorsqu’elle m’enjoignait de m’impliquer, quand Sorcha suggérait que je devienne la porte-parole des créatures aquatiques, elles proposaient en réalité que je participe à ce… Je n’avais même pas de mot. Mascarade ne convenait pas, car ils se prenaient bien trop au sérieux. Une parodie de démocratie? Je n’étais pas dupe au point de les croire civilisés, peu importait leurs habits, leurs sourires affables et les poignées de mains échangées. Je ne doutais pas un instant que la moitié des prédateurs autour de la table me sauteraient à la gorge si je les menaçais d’une quelconque façon. 
Et le plus risible dans tout ça? Le repas serait offert, mais seulement une fois la rencontre clôturée. L’idée avait du mérite : l’attrait d’un bon repas assurait la participation des membres, tout en les incitant à garder les discussions au plus court. Je ne savais pas si je devais applaudir leur génie ou me sauver à toute vitesse. 

– Point suivant, annonça Christian. C’est la raison pour laquelle nous avons invité madame Viviane Cormoran à se joindre à nous : la disparition de Ponik. 

Ponik… Le monstre lacustre? Celui qui occupait le lac Pohénégamook? Autour de la table, les mines s’assombrirent. Mon regard balaya les participants, surprise par cette réaction unanime. Pourquoi la disparition d’un seul individu les touchait-elle autant? Je me penchai vers Marie-Josephte. 

– Est-il un membre régulier du conseil? 

Elle secoua la tête. Je réalisai à ce moment que tous les regards reposaient sur nous. 

– Si tu veux bien faire état de la situation, demanda Christian à l’intention de Marie-Josephte. 

Celle-ci prit le relais. 

– Il y a quelques jours, j’ai été contacté par une source anonyme pour me signaler des problèmes dans le comté du Témiscouata. Un Fae, probablement un sauvageon, aurait attaqué un banc de Maymaygwashi7. Il aurait poursuivi sa route vers un nid de kappas8. L’affrontement qui a suivi a attiré l’attention des humains de la région; tant et si bien que les journalistes des quotidiens régionaux sont venus fouiner. J’ai tenté de rejoindre Ponik, sans succès. Mon contact sur place se montre évasif sur la situation. Je crains le pire. 

– Le moment est très mal choisi, commenta le Bonhomme Sept Heures. 

Marie-Josephte se tourna vers lui avec une lenteur délibérée. 

– On choisit rarement de disparaître pour faire plaisir aux autres. 

Je me raidis dans ma chaise, prête à rouler sous la table si la tension se transformait en agression. Une main levée coupa le duel de regards, détournant l’attention des deux puissances prêtes à se crêper le chignon. Ellie ne broncha pas lorsque tous les yeux se posèrent sur elle. J’admirais son aplomb; à sa place, j’aurais certainement flanché. 

– Choix ou non, nos ressources sont déjà fort sollicitées, dit-elle. Avec le vent de panique qui souffle sur les États-Unis, nous ne pouvons pas envoyer les Sentinelles des Faoladh mener l’enquête dans une autre ville. 

Je fronçai les sourcils, perplexe. En raison des caprices électriques causés par mes invités, regarder la télévision ou surfer sur le Net avait relevé du parcours du combattant. Mon dernier bulletin de nouvelles remontait à quelques jours. Je me penchai vers Marie-Josephte une fois de plus. 

– Qu’est-ce que nos voisins ont encore fait? 

– Oui, Marie-Josephte, coupa le Bonhomme Sept Heures. Explique à ta protégée – et à tout le conseil – ce qu’elle devrait déjà savoir. 

Ma main se crispa sur mon verre d’eau. Et si je le lui lançais au visage? Est-ce que ce serait si terrible? Le regard perplexe d’Ellie voyagea entre nous, et je ravalai un commentaire désobligeant au profit d’une réplique diplomatique, mais non moins satisfaisante. 

– J’aimerais qu’on note au procès-verbal que j’ai refusé de m’impliquer dans les affaires du conseil par deux fois avant que ma participation soit exigée pour la rencontre d’aujourd’hui.  

Sous le regard de réprimande de Christian, le Bonhomme Sept Heures détourna la tête avec une expression ennuyée. Le chef des Faoladh s’accouda sur la table. 

– Nous comprenons tes réserves. Et nous apprécions ta présence, insista-t-il avec un coup d’œil vers mon détracteur. En quelques mots, les Républicains9 ont décidé d’exposer la communauté surnaturelle au grand public. On parle déjà de la mise en place des premières mesures discriminatoires et ségrégationnistes. 

Mon sang se glaça dans mes veines. Cette menace flottait au-dessus de nos têtes depuis l’aube des temps. À partir du moment où les créatures surnaturelles avaient choisi de vivre dans l’ombre, le compte à rebours s’était lancé. Certaines époques avaient connu plus d’agitation que d’autres, mais la plupart des situations explosives avaient été désamorcées soit par la mort des agents perturbateurs ou par le simple passage du temps et son effet sur les mémoires.  
Au cours des cent dernières années, de plus en plus de gens avaient pris conscience de notre présence parmi eux. La technologie permettait aussi de faire perdurer ce savoir. Des surnaturels bien placés, comme Marie-Josephte, s’échinaient à éviter les débordements ou à les balayer sous le tapis du déni collectif. Cette fragile ère venait de toucher à sa fin. 
Mes yeux trouvèrent ceux de Marie-Josephte et ses lèvres pincées confirmèrent que nous avions pensé à la même chose : les créatures surnaturelles les plus vulnérables tenteraient de fuir. De toutes les époques et de tous les débats, le Canada adoptait souvent une politique plus souple ou alors une position moins radicale. Un tel afflux d’exilés solliciterait le réseau de refuges mis en place par Marie-Josephte, dont le mien. 

– La plupart des passages frontaliers se trouvent à l’ouest, plus près de Montréal, reprit Christian. Les vampires et les mages ont mis sur pieds certaines mesures pour intercepter les nouveaux arrivants. Chaudière-Appalaches compte cinq points d’accès que nous allons mettre sous surveillance. 

– N’y a-t-il pas un poste frontalier à Pohénégamook? demanda Ellie. 

– Ce sont principalement des routes commerciales utilisées par les entreprises d’exploitation forestière, les chasseurs ou les amateurs de quad, répondit Bryan à la gauche de Christian. Nous n’avons pas exclu cette possibilité, mais si quelqu’un traverse à cet endroit, il est déjà préparé à la survie en milieu hostile. Ce ne sera pas le cas de ceux qui arriveront des centres urbains. 

Christian hocha la tête et reporta son attention sur moi. 

– Le lac Pohénégamook est le repère de Ponik. Je ne sais pas à quel point tu es familière avec les monstres lacustres, mais leur présence attire les créatures inférieures pour constituer des collectivités distinctes et complexes. Ce sont souvent des créatures qui ne possèdent pas de glamour ou de faculté à masquer leur véritable nature aux yeux des humains normaux. En ce moment, une cinquantaine d’individus sont laissés à eux-mêmes, vulnérables et inquiets. 

Bryan reprit le flambeau : 

– J’arrive du Témiscouata. J’ai fait le tour du lac en voiture, puis sous ma forme de loup. Aucune des créatures inférieures n’a voulu m’approcher. Parmi les puissances notables, deux m’ont adressé la parole, mais ils n’ont pas répondu à mes questions et ils ont refusé mon aide. 

Les regards se posèrent sur moi tandis que Christian concluait : 

– Nous pensons qu’ils seraient mieux disposés à interagir avec une créature aquatique. En tant qu’océanide, Viviane aura plus de facilité à entrer en contact avec les différents groupes. Elle pourra nous donner l’heure juste sur la situation autour du lac et nous pourrons intervenir en conséquence. 

Le Bonhomme Sept Heures leva un doigt pour demander la parole. 

– Si Ponik les a abandonnés, et qu’ils refusent de collaborer, je ne vois pas pourquoi nous devrions nous plier en quatre pour les aider. 

À la table d’en face, Annick, la femme avec qui Christian avait discuté plus tôt, bondit sur ses pieds. 

– Si nous ne veillons pas sur notre communauté, alors nous ne valons pas mieux que le Roi-Mage. 

Le vieil homme grimaça. 

– Le Témiscouata est à deux cent cinquante kilomètres d’ici. On ne peut pas tenir un territoire aussi grand sans que ça se retourne contre nous. Notre engagement concerne la région de Québec. 

Quelques sièges plus loin, Sahale le contredit avec une expression pensive : 

– La Terre-mère n’appartient à personne, mais elle est l’affaire de tous. Si l’équilibre est rompu dans la collectivité de Ponik, les conséquences se feront sentir chez nous tôt ou tard. 

Loin d’être dissuadé par cette intervention, le Bonhomme Sept Heures plissa les lèvres avec dédain. 

– Des perturbations dans un lac du Bas-Saint-Laurent ne te causeront pas de soucis jusqu’en Colombie-Britannique. 

Sahale frotta son pouce sur son index et des étincelles crépitèrent.  

– Ne sois pas étroit d’esprit dans ton grand âge, Baptiste. Et ne m’oblige pas à aérer notre linge sale devant la visite. 

Entre les pouvoirs manifestes de Sahale, ses traits autochtones et la référence à la Colombie-Britannique, les morceaux du casse-tête s’assemblèrent : l’oiseau-tonnerre siégeait à la table du conseil des Clans. Il ne figurait pourtant pas sur la liste des joueurs principaux de l’échiquier politique que Marie-Josephte m’avait fournie. Était-il un invité au même titre que moi? 

– Nous sommes tous d’accord que le contexte est préoccupant, intervint Ellie, toujours aussi modérée. Mieux vaut prévenir que guérir : la situation à Pohéné pourrait dégénérer d’un moment à l’autre, avec toutes les conséquences possibles pour la région. Nous ne pouvons pas ignorer ce talon d’Achilles, surtout à la veille d’un possible conflit Canada – USA. 

La majorité des membres opinèrent. Cette jeune femme possédait un sang-froid remarquable pour son âge. J’aurais bien aimé savoir comment elle avait obtenu le titre de porte-parole du Windigo. Ce mystère devrait attendre, car je voyais une faille dans le plan du conseil. 

– Pourquoi ne pas mettre votre énergie à retrouver Ponik? demandai-je. Même si je prends la mesure de la situation, sa collectivité vivra dans la précarité jusqu’à son retour. 

Des regards s’échangèrent autour de la table. 

– Les monstres lacustres ont la réputation d’être excentriques, expliqua Marie-Josephte. Ponik pourrait réapparaître demain matin, ou dans dix ans. 

Le silence s’étira à la suite de sa réponse et je scrutai la réaction de chaque membre. 

– Personne n’ira à sa recherche? Et les autres monstres lacustres? 

Christian lâcha un soupir avant de répliquer. 

– Memphré a dit qu’il viendrait jeter un coup d’œil, mais les vampires ont rapporté qu’il a été aperçu au nord de l’île de Montréal. 

À ma connaissance, le lac Memphrémagog se trouvait en Estrie, à cent vingt-cinq kilomètres au sud-est de la métropole. Et Montréal se situait à quatre cent cinquante kilomètres de Pohénégamook… Un sacré détour. Mieux valait ne pas attendre son aide de sitôt. Christian lança un regard inquisiteur à Bryan et ce dernier répondit : 

– Toujours aucune nouvelle de Champi. Ça n’a rien de surprenant, puisque la vaste majorité du lac Champlain est du côté américain des lignes. Il y a fort à parier qu’il en a plein les bras avec sa propre collectivité. 

Le Bonhomme Sept Heures se cala dans sa chaise, les bras croisés. 

– Vu les réticences de Viviane à venir en aide aux créatures du Pohénégamook, et vu nos doutes sur la disparition de Ponik, je suggère que nous remettions notre décision à plus tard. Laissons le temps passer, et nous aviserons… 

L’outrage me raidit la colonne vertébrale et mes poings se crispèrent. L’ex-croque-mitaine de la communauté surnaturelle avait une propension à négliger ses semblables et à les traiter comme des commodités. Fait qu’il avait très bien démontré lorsqu’il s’était présenté chez moi en octobre dernier pour me jeter de fausses accusations au visage. Juste parce que la situation l’irritait, parce qu’il n’avait pas de meilleur coupable à pointer du doigt, il avait déferlé sa hargne sur moi. Maintenant, il tournait le dos à une collectivité dans le besoin comme s’il s’agissait de mettre les ordures au chemin. Je ne pouvais pas croire que les autres membres du conseil abonderaient dans ce sens. Autour de la table, les visages s’assombrissaient et j’y lus la résignation. 
Inacceptable. 

– Je vais y aller. 

Une intégrale pour les Joyaux

L’automne dernier, Le zénith nacré est venu compléter La Chronique des Joyaux. Caysen et Maelora, les personnages principaux du deuxième tome, sont probablement ceux dont je m’ennuie le plus; leur histoire était tellement poignante. Il faut dire aussi que Sabaya, avec sa personnalité lumineuse, avait été un charme à écrire et Jonas restait mon favori parmi les maîtres d’armes.

J’ai cependant une terrible confidence à vous faire. Un peu comme un parent qui avouerait avoir un favori parmi ses enfants… Dès le départ, je me doutais que la fantasy médiévale ne serait qu’un interlude pour moi. J’avais envie d’en écrire et d’explorer les possibilités, mais j’avais hâte de revenir à la fantasy contemporaine.

Quand est venu le moment de commander les couvertures pour La Chronique des Joyaux, j’ai choisi d’être raisonnable et d’aller avec l’option « petit budget », soit une couverture unique déclinée en différentes couleurs pour chaque tome.

Je ne peux pas m’empêcher de penser que ça a joué en défaveur de la série, et de me demander quels auraient été les résultats si j’avais opté pour une couverture différente.

L’an dernier, j’ai sorti l’intégrale numérique de la série Dominix Kemp ainsi qu’une intégrale numérique et format couverture rigide de la série Windigo. L’accueil a été fantastique! Tant et si bien, qu’avant même de sortir le tome 3 des Joyaux, je savais que j’allais prévoir une version intégrale.

De la même manière que j’ai choisi de me faire plaisir avec la couverture de l’intégrale Windigo, je me suis payée la traite avec celle de La Chronique des Joyaux. J’ai demandé au graphiste de représenter Sabaya et Jonas pour porter l’étendard de la saga. Je sais que ça ne rend pas justice aux deux autres tomes, mais je souris à chaque fois que je les vois, et j’espère que ça vous fera le même effet.

Si cette intégrale et sa sublime couverture vous tente, elle est disponible en impression à la demande sur Amazon, de même qu’au format numérique, en plus d’être dans l’abonnement Kindle. Bonne lecture!

Un extrait de Les flots ensorcelés

Vous avez été nombreux à sauter dans l’aventure aux côtés de Viviane Cormoran grâce au prélude Les eaux empoisonnées. Je suis tellement choyée de partager cette histoire avec vous! La plupart d’entre vous ont souligné la breveté du récit. Oui, je sais, c’était une mise en bouche tout ce qu’il y a de plus agace. Mais le jour J approche à grands pas : je vais enfin tenir ma promesse et vous livrer une histoire en bonne et due forme.

Ce premier tome plonge Viviane dans une enquête pour préserver la tranquilité du manoir. Ben quoi, vous ne pensiez quand même pas qu’elle allait mener ses projets à bien sans encombres? Ha! Un personnage bien connu de la série Windigo a décidé de venir mettre son nez dans les affaires de Viviane et de l’accuser de sabotage. Elle devra défendre sa réputation pour que la mission du manoir se poursuive, et que la recherche de ses semblables progresse.

Son chemin va croiser celui de Zacharie Morgan, ce fameux cheval-bâtisseur que je vous ai présenté le mois dernier. Si leurs objectifs s’entrecoupent, leur movitation et la finalité recherchée sont très différentes. La nécessité pousse à bien des compromis, mais à quel prix?

La sortie du tome 1 Les flots ensorclés est prévue le 22 février 2023. Pour vous faire patienter d’ici là, je vous offre un extrait. Bonne lecture!


À la limite de ma perception, l’eau frétilla, tel un chien avertit son maître d’une intrusion. Je fermai les yeux et dirigeai mon attention vers le chenal qui bordait l’entrée du terrain. C’était le premier chantier que j’avais lancé en emménageant au manoir : creuser un fossé en parallèle de la route, et faire passer l’allée sur un ponceau. À une extrémité, un puits connectait à une source d’eau à proximité, et à l’autre, un déversoir assurait une circulation continue dans la petite douve. 

Personne ne pouvait accéder au manoir sans que je le sache. 

Notre visiteur ne m’était pas familier, mais la puissance de sa magie déclencha des picotements sur ma nuque. L’eau frémit à son passage, ambivalente quant à sa présence. Je fronçai les sourcils, car j’avais passé plusieurs heures à l’infuser de mon désir de préserver la quiétude de la propriété. La mission du manoir Cormoran comportait deux facettes : l’hospitalité pour mes invités, et la dissuasion pour ceux qui voudraient troubler leur séjour. Si l’eau ne parvenait pas à déterminer les intentions du visiteur, la prudence restait ma meilleure arme. 

***

Je fermai ma veste après une inspiration fortifiante et repassai dehors. Ben s’affairait près des restes de la remise, à portée de voix si jamais j’avais besoin de renfort. Il se grattait la tête en cherchant de part et d’autre des débris. Je grimaçai au souvenir de son râteau. Heureusement, il y en avait d’autres dans la remise. 

Dans l’allée de gravier, une voiture blanche au long nez massif venait de se garer aux côtés de mon Combi Volkswagen bleu pastel. Je descendis les marches de la véranda pour aller à la rencontre de mon visiteur, un vieil homme au visage parcheminé. L’âge avait voûté ses épaules, mais sa carrure conservait une fermeté caractéristique des gens qui ont eu une vie bien active. Ses yeux bleus illuminaient ses traits et son sourire lui donnait le charme d’un grand-père attentionné. La tension s’intensifia dans mes épaules, car les apparences se révélaient souvent trompeuses, surtout à la lumière de l’hésitation de l’eau. En me voyant, il pinça le rebord de sa casquette de golfeur pour me saluer. 

– Bienvenue au manoir Cormoran, le saluai-je. Est-ce que je peux vous être utile? 

– Tu dois être Viviane, répondit-il. Je suis Baptiste Rodrigue. 

Je saisis la main qu’il tendait, prête à tout, sauf au contact chaud et légèrement rugueux des cales de sa paume. Une partie de mes inquiétudes s‘évapora. Il me relâcha et promena son regard sur le manoir avec sa véranda aux colonnades blanches, puis sur la cour arrière qui s’étendait jusqu’à la lisière des arbres entre lesquels on devinait les berges du fleuve Saint-Laurent. 

– Marie-Josephte m’a longuement parlé de son nouveau projet, mais elle a minimisé les compétences de la tenancière qu’elle a recrutée. 

Son regard pénétrant me cloua sur place et je ne pus que hausser les sourcils en réponse. Avant le mois de juin, je n’avais connu Marie-Josephte Corriveau que de nom. Celle qu’on appelait la Corriveau, la Mangeuse d’âmes, s’était révélée bien plus soucieuse de sa collectivité que je ne l’aurais cru possible. Le hasard avait voulu que nos chemins se croisent lors de la visite du manoir. Et si elle avait contrecarré mon projet d’acheter la propriété, elle m’avait offert une collaboration des plus intéressantes : le manoir lui appartiendrait, le plaçant sous sa protection, et j’y aurais pleine autorité, à condition d’en faire un havre pour les créatures surnaturelles.  

Son offre avait fait écho à mes propres projets, ceux de trouver un sanctuaire, m’accordant la sécurité de facto et me laissant une porte de sortie si les événements ne tournaient pas en ma faveur. J’avais accepté avec joie. 

Comme le commentaire de mon visiteur restait plutôt obscur, je misai sur l’évidence et écartai un bras en direction de la remise. 

– Le projet avance bien. C’est surtout grâce à mon jardinier si la propriété resplendit. 

S’il était bel et bien une créature surnaturelle comme je le soupçonnais, il aurait tôt fait de réaliser qu’il en allait de même pour mon jardinier. Monsieur Rodrigue rit tout bas.  

– Je vois. Bien sûr. 

La brise s’intensifia, apportant avec elle l’odeur du fleuve, un mélange d’iode et d’algues, un rappel que mon élément de prédilection se trouvait tout près, mais pas assez si les choses devaient mal tourner. Je frissonnai, mais ça n’avait rien à voir avec la température. Le soleil de l’après-midi brillait aussi fort qu’un jour d’été, comme promis par les prédictions météo qui avaient annoncé une journée anormalement chaude pour la saison. Je désignai la maison. 

– Est-ce que je peux vous offrir un café? 

– Si vous insistez; soyons civilisés.  

La réponse me fit un drôle d’effet, mais mon visiteur n’avait pas grand-chose de normal de toute façon. Je le précédai pour grimper les marches du perron et ouvris la porte-moustiquaire avant de pousser sur la lourde porte en bois. Le ressort se contenta de couiner, et je relâchai mon souffle avec soulagement. C’était l’un des phénomènes inexplicables : le manoir intervenait quand bon lui semblait, ayant déjà essayé d’estropier un visiteur indésirable. Je n’avais pas encore déterminé si un esprit l’habitait ou si le bâtiment avait développé sa propre conscience, semblable à un manitou. S’il ne réagissait pas d’emblée à mon visiteur, je le prendrais comme un signe favorable. 

La construction du manoir remontait au début des années 1900. L’intérieur était entièrement en planche en bois, avec un style rustique que j’avais modernisé à l’aide de meubles aux lignes simples et aux couleurs claires. Un large foyer séparait le rez-de-chaussée en deux aires distinctes, mais les pièces s’ouvraient les unes sur les autres pour créer un ensemble aéré et lumineux. 

Après avoir suspendu ma veste et celle de mon visiteur, je pris la direction de la cuisine et m’affairai à préparer le café ainsi qu’un plateau de biscuits Petit Beurre. Si j’avais été seule, j’aurais sorti la boîte d’Oreo, mais quelque chose chez mon visiteur me disait qu’il était plus traditionnel dans ses préférences.  

La pièce voisine accueillait une longue table de ferme où pouvait s’asseoir une dizaine d’invités, mais monsieur Rodrigue avait plutôt choisi de prendre place à la table plus modeste du coin petit-déjeuner. J’y apportai mon plateau et posai sa tasse devant lui. Il n’ajouta rien à son café, souffla sur la surface avant de prendre une gorgée. Il hocha la tête et sourit avec appréciation. 

– On dit qu’il n’y a que les psychopathes, ou les policiers, pour boire leur café noir, remarquai-je. 

– Ma pauvre enfant, on voit bien que tu ne m’as pas reconnu. 

Je sourcillai à son ton amusé qui contrastait avec la menace contenue dans son regard. La protection de la Corriveau m’assurait la quiétude, mais elle n’éliminait pas d’emblée les menaces. Les planchers frissonnèrent et la tuyauterie gronda. Un plic-ploc me parvint depuis l’évier, comme si le manoir réagissait à ma méfiance. Mes sens détectèrent un afflux d’eau dans les conduits. On aurait dit que le manoir préparait mes défenses. Intéressant. Je reportai mon attention sur mon visiteur. 

J’avais vécu les trente premières années de ma vie à quelques heures d’ici, mais j’avais passé les cent vingt années suivantes sur la route. Les moyens de communication avaient été bien moins efficaces à cette époque, mais les marins et les pêcheurs que j’avais côtoyés s’étaient révélé une excellente source d’information. Je me repassai son nom, mes doigts tambourinant sur le côté de ma tasse. On pouvait y lire « Va chier. Oups, j’veux dire : BON MATIN ». Le regard de monsieur Rodrigue s’y posa et le coin de ses lèvres s’étira en un sourire sardonique.  

Pour s’assurer que je sois à jour, Marie-Josephte avait dressé à mon intention un tableau des principaux acteurs de la scène politique surnaturelle de la région. Vu l’âge apparent de mon visiteur, les choix étaient restreints : il appartenait soit à la catégorie des monstres lacustres – ces derniers bénéficiaient d’une longévité quasi immortelle, mais prenaient plaisir à prendre l’apparence de vieillards fouineurs – soit j’avais affaire au fameux Bonhomme Sept Heures. 

Si les monstres lacustres furetaient partout, ils refusaient de prendre un parti, bien qu’il leur arrivât de lâcher certaines informations dans le seul but de causer un peu plus de chaos. Le Bonhomme Sept Heures quant à lui jouissait d’une réputation bien plus inquiétante. Dans sa « jeunesse », il avait exercé comme croque-mitaine, aussi bien pour les humains normaux que pour les surnaturels. Son pouvoir tournait autour de la guérison, l’expression Bone Setter ayant inspiré son surnom francophone, mais les exploits qui l’avaient rendu célèbre parlaient de traque, de capture et de torture. Le récent retour du Windigo sur la scène politique avait bousculé le statu quo, et le rôle de croque-mitaine avait changé de main. Je n’en restais pas moins circonspecte quant à la menace qu’il représentait. 

Et vu sa précédente mention de Marie-Josephte, les probabilités penchaient vers le Bonhomme Sept Heures plutôt qu’un des monstres lacustres. 

– J’ai passé l’âge de craindre les histoires de croque-mitaine, répondis-je pour tester les eaux. 

– Voilà qui n’est pas si sage. 

Il prit une gorgée de café sans expliquer le fond de sa pensée. Je haussai les épaules et optai pour la franchise. 

– Je me mêle de mes affaires et je m’attends à ce qu’on me rende la pareille. 

Sa tasse se figea à mi-chemin entre la table et sa bouche. Après quelques secondes, il la déposa avec soin et croisa les mains devant lui. 

– Ma visite d’aujourd’hui n’en est pas une de courtoisie. 

Surprise, surprise. Par réflexe, ma conscience prit contact avec l’eau à proximité. Un des avantages de l’âge avancé du manoir résidait dans son système de chauffage à l’eau chaude. Des radiateurs siégeaient sous chacune des fenêtres et des tuyaux couraient de long en large des pièces pour les ravitailler. En quelques secondes, je pouvais appeler à moi plusieurs litres à la rescousse. Prenant soin de garder ma respiration stable, je haussai un sourcil interrogateur : 

– Je suis tout ouïe. 

– J’ai investi des sommes importantes dans la construction d’une microbrasserie non loin. D’une part, je m’efforce de diversifier mon portefeuille en vue de ma retraite, d’autre part, c’est aussi une activité liée à certains membres de notre communauté. 

Je hochai la tête. Le projet ne me disait absolument rien, ce qui n’était pas surprenant en soi : depuis mon retour dans la région, tout mon temps avait été dédié au manoir. 

– Vois-tu, reprit-il, hier, je suis arrivé sur le chantier pour qu’on m’annonce que les fondations ont été inondées. 

– Vous m’en voyez désolée. 

Je n’y connaissais rien en construction, mais je savais pertinemment les dégâts qu’un tel coup d’eau pouvait infliger. Il inclina le menton en me considérant fixement. 

– Un ouvrier y a perdu la vie. Carl Béland, vingt-trois ans, un charpentier et un banal humain. Il avait un bel avenir devant lui. 

Un soupir de tristesse m’échappa. L’eau était aussi vivifiante que meurtrière. 

– Ne ressens-tu aucune culpabilité? insista-t-il. 

– Toute mort est déplorable, répondis-je, perplexe. 

Il écarta les mains avec une expression féroce. 

– Alors, explique-moi pourquoi tu as mis fin à ses jours, en plus d’avoir saboté mon projet. 

Ma mâchoire se décrocha à son accusation. Je me pointai du doigt, les yeux ronds d’incrédulité. 

– Vous pensez que c’est moi qui ai causé l’inondation? 

Il se pencha au-dessus de la table pour parler d’un ton dangereusement doux. 

– Les faits sont là : une océanide s’installe dans les environs, une créature qu’on ne trouve nulle part ailleurs au Québec. Elle s’approprie un bout de territoire et s’acoquine avec de puissants alliés en un rien de temps. Et voilà que mon investissement prend l’eau, sans parler de l’enquête de la Sûreté du Québec. Ils ont relâché la scène de crime, mais les questions continuent de s’empiler. 

Il croisa les bras sur sa poitrine, sa bouche pincée par la colère. Mes pensées tournaient à cent à l’heure en cherchant une explication qui lui conviendrait. Si je lui avouais la raison de ma présence dans la région, je craignais qu’il ne le retourne contre moi. Ce serait comme lui remettre l’arme avec laquelle m’achever : j’étais isolée de mes congénères et aux prises avec un pouvoir inconnu. Sans soutien, à l’exception de la Corriveau, et pas de taille à me défendre si nous en arrivions à la violence. D’autant que s’il comprenait l’ampleur de mon manque de contrôle sur les manifestations de ce pouvoir, il y verrait le prétexte parfait pour m’éliminer plutôt que de trouver le moyen de m’aider dans mes recherches. C’est ce que j’aurais fait à sa place. J’avalai avec difficulté, la gorge sèche. 

– Je ne connaissais même pas l’existence de ce chantier avant que vous m’en parliez, l’informai-je. 

Il secoua la tête. 

– C’est un peu faible comme défense, tu ne trouves pas? 

– J’ai accueilli un invité la nuit dernière. Je n’aurais pas pu me balader pour commettre le sabotage dont vous m’accusez. 

– Mm, un alibi? Cet invité peut-il attester de ta présence du coucher au lever du soleil? 

Mon souffle me quitta en un soupir défait. Mon invité était arrivé après minuit pour se retirer dans sa chambre presque immédiatement. Les yeux du Bonhomme Sept Heures pétillèrent à ma déconvenue. Mon visage se crispa alors que l’irritation prenait le dessus. Toute jeune, j’avais été la cible d’accusations infondées et j’avais été incapable de les réfuter. J’avais tout perdu en conséquence. Hors de question que je vive à nouveau cet enfer.  

– Je suis innocente jusqu’à preuve du contraire, répondis-je, citant le principe juridique du droit pénal en vigueur au Canada. 

Les doigts du Bonhomme Sept Heures tapotèrent le bord de sa tasse. 

– Les années où je battais la campagne pour terroriser les enfants et les surnaturels chahuteurs sont loin derrière moi. J’ai adapté une méthode bien plus efficace : les mots blessent aussi bien que les coups, et leur marque est indélébile. 

Le poil de mes bras se hérissa à ses paroles qui faisaient écho à mes souvenirs. La détermination me crispa les épaules et je haussai un sourcil provocateur. 

– Pensez-vous que je vais rester les bras croisés pendant que vous salissez mon nom? Je ne sais pas ce que vous cherchez, mais vous ne l’obtiendrez pas de moi par la menace. 

Sans qu’il ne bouge, sa présence dans la pièce enfla. Le contour de sa silhouette se densifia alors que la luminosité ambiante disparaissait, siphonnée par la colère du Bonhomme Sept Heures. Sa voix rappelait le roulement du tonnerre lorsqu’il me répondit. 

– Tu as bien joué tes cartes en t’installant dans le secteur : tu as obtenu l’aval des Faoladh dès le départ. D’ailleurs, Greg n’a que de bons mots à ton sujet. Si le chef de la meute ne m’avait pas assuré du contraire, je t’aurais accusé d’avoir embrouillé l’esprit du loup-garou.  

J’inspirai avec difficulté, suffoquée par son obscur halo. Mes muscles tremblaient de l’effort requis pour rester droite. Le visage du Bonhomme Sept Heures se parait d’ombres lourdes de sinistres promesses; un peu comme dans un rêve, lorsqu’on se trouve face à un trou noir. Notre esprit sait qu’un seul coup d’œil dans cette obscurité suffirait à libérer nos pires cauchemars. 

– Si tu penses pouvoir agir impunément, je me ferai un plaisir de remettre les pendules à l’heure, gronda-t-il. La protection que t’a octroyée la Corriveau m’empêche de riposter, mais ça ne saurait durer. 

Comme si la mention de Marie-Josephte l’avait invoquée, l’eau s’agita autour du terrain et je la sentis traverser le ponceau. Les renforts étaient tout près. La sueur traçait des rigoles dans mon dos, mais j’exhortai mes muscles à bouger, à ignorer le prédateur qui n’attendait que le bon moment pour bondir. Feignant une nonchalance que j’étais loin de ressentir, je me levai et rinçai ma tasse dans l’évier avant de la déposer sur le séchoir. Tremblante, je m’appuyai contre le rebord de porcelaine et croisai les bras. 

– Je suis désolée que votre projet connaisse des difficultés, mais je n’y suis pour rien. J’ai clairement stipulé mes intentions aux Faoladh lors de mon arrivée sur le territoire : j’aspire au calme et à la tranquillité. Qu’on vienne me menacer de la sorte n’est pas l’idée que je me faisais de mon séjour. 

Le Bonhomme Sept Heures avait fait mention des loups-garous irlandais en premier et je ne pouvais qu’espérer qu’il reconnaissait leur autorité, ou au mieux qu’il entretenait de bonnes relations avec eux. Après tout, la Capitale-Nationale et une bonne partie de Chaudière-Appalaches tombaient sous leur protection.  

J’ignorais à quel point le Bonhomme Sept Heures avait l’ouïe fine, mais mes sens étaient si tendus que je sentis l’approche de Marie-Josephte, presque aussi bien que si je la voyais. La porte grinça et le battant claqua en se refermant.  

La lumière inonda la pièce. Mon visiteur avait repris l’apparence d’un vieil homme affable. Aucune trace du monstre ne subsistait. Sauf que je savais au plus profond de moi que je ne pourrais jamais relâcher ma garde en sa présence. 

– « Honey, I’m home », lança Marie-Josephte avant d’apparaître sur le seuil de la cuisine. 

Qui est le cheval bâtisseur?

Savez-vous ce qui est mieux que de parler d’une passion? D’en jumeler deux! Au menu : chevaux et folklore! La légende du cheval (noir) bâtisseur d’église est tellement populaire au Québec qu’il est difficile d’établir avec certitude son origine.

Ce conte est présent sur les deux rives du fleuve Saint-Laurent, notamment à Saint-Augustin-de-Desmaures, Saint-Michel-de-Bellechasse (tiens, tiens…), Saint-Laurent-de-l’Île-d’Orléans, Trois-Pistoles, L’Islet et d’autres encore. Elle rappelle un peu la légende celtique du kelpie, ce qui n’a rien de surprenant quand on sait qu’un demi-million d’immigrants irlandais se sont installés au Québec entre les années 1816 et 1860. 

Je ne me souviens pas de la première fois dont on m’a parlé de cette histoire. D’autre part, j’ai été fascinée par les chevaux dès que j’ai su faire la différence entre un chien, un cheval et une vache, alors ça n’a rien de surprenant.  

Au Québec, nous avons les chevaux Canadiens, une race développée au 17e siècle avec des animaux importés de France. Physionomie robuste, tempérament vif sans être nerveux; on l’appelle aussi le petit cheval de fer et la race est considérée comme patrimoine agricole du Québec. Et soyons francs, entre les rigueurs du climat et le travail sur la ferme, les chevaux Canadiens le méritent! 

Ce n’est donc pas surprenant que ces superbes bêtes aient inspiré les légendes : sur un chantier d’église, on accuse du retard, alors le prêtre passe un pacte avec le diable, ou alors c’est Notre-Dame qui lui apparait pour lui confier un cheval noir. En aucun cas, il ne doit être débridé, pas même pour boire de l’eau. On le dit rapide, infatigable et d’une force sans pareil. Il y a évidemment toujours un paroissien bien-pensant pour lui retirer son harnais, et le cheval se sauve à l’épouvante, parfois en sautant dans l’eau, laissant l’église inachevée. 

Vu mon faible pour les chevaux, il allait de soi que j’inclus cette légende dans La Proie du Windigo, et c’est ainsi que Karl et Ellie font appel à Belmore pour les transporter de Québec à Montréal. Malgré tout, le cheval-bâtisseur ne pouvait pas être à l’honneur vu la dynamique entre les personnages principaux et la direction que prenait l’intrigue.

Je savais par contre que si je devais un jour revisiter cet univers, alors la légende du cheval bâtisseur y aurait son moment de gloire. Comme j’avais déjà la Coureuse des grèves qui me trottait (littéralement) dans la tête, j’ai cherché le meilleur moyen de les combiner sur la page. 

Le défi n’a pas été très long à relever : l’une a les cheveux noirs, l’autre arbore une robe de jais; tous deux ont une affinité pour l’eau, et les deux sont présents dans la région de Chaudière-Appalaches. Il ne me restait plus qu’à leur trouver une raison de se rencontrer! 

Tout comme pour Viviane Cormoran, il me fallait un nom avec une certaine signification. J’y ai été pour un nom typiquement judéo-chrétien, soit Zacharie, car tout un pan de l’histoire du Québec est imprégné de l’influence de l’Église catholique, et d’autre part, mon esprit tordu trouve amusant de semer le doute quant à la nature « démoniaque » du personnage folklorique…

Enfin, pour son nom de famille, je me suis tournée vers les chevaux (quoi, on ne peut pas toujours baigner dans la controverse) avec Morgan. Le Morgan est une race de chevaux de selle américaine, dont certains pensent qu’elle partage des ancêtres communs avec le Canadien. En effet, plusieurs spécimens se ressemblent à s’y méprendre. 

Pour qu’il soit en mesure de suivre le rythme des aventures de Viviane, j’ai doté Zacharie d’une bonne dose d’assurance et d’audace. Il se fie à son instinct et il fonce, toujours prêt à défendre ceux qui lui sont chers. 

Viviane et Zacharie se rencontreront dans le tome 1 de La Coureuse des grèves. «Les flots ensorcelés» sera disponible le 23 février 2023.