« L’aurore carmin » sort le 24 mars 2022 et je suis impatiente de partager cette histoire avec vous. Caysen et Maelora ont été un couple à la fois difficile et exaltant à mettre sur la page.
Lorsque mon conjoint a suggéré d’inverser les rôles homme-femme, j’ai trouvé l’idée immédiatement fascinante. On met rarement de l’avant des hommes qui jouent un rôle maternel. À l’inverse, il arrive de voir des femmes combattante; on pense à Wonder Woman, Capitaine Marvel, Mulan ou encore Daenerys Targaryen. Je voulais voir le choc entre les deux et bien sûr leur permettre de trouver un terrain d’entente, parce que la nature des joyaux les pousse à vivre en symbiose avec leur entourage.
Dans le premier tome de la série, on voit une précieuse pétillante et vibrante, et si sa rencontre avec Jonas n’est pas parfaite, elle est quand même sous de bons auspices. À l’inverse, Caysen a vécu un important traumatisme lors de la chute de son château. Maelora n’a pas fait preuve d’une grande délicatesse jusqu’à maintenant et on est en droit de redouter cette rencontre fatidique. Cependant, nos deux personnages partagent un point commun : leur détermination à atteindre leur objectif. Caysen veut remettre son château sur pied, et Maelora rêve toujours de devenir maître d’armes.
Je vous invite à découvrir un extrait de « L’aurore carmin » du point de vu de Caysen. Bonne lecture!
Le sol frémit sous mes pieds. Ils arrivaient.
Je baissai les yeux vers mes habits, soudain conscient que j’allais interagir avec des gens pour la première fois en… Combien d’années avais-je dormi? Car le passage du temps avait laissé ses traces sur le château et j’avais la certitude que mon sommeil avait duré longtemps. Trop longtemps.
Je traversai le corridor pour sortir sur les remparts. Dans le cadre de porte, j’hésitai. Depuis les fondations, le joyau s’ouvrit à moi et m’envoya une onde d’énergie. Nos réserves étaient basses, mais son désir d’accueillir ces étrangers pulsait en moi. Je passai les mains sur ma tunique et ravivai les couleurs du tissu.
Était-ce de la vanité? Mon défunt seigneur l’aurait sûrement pensé.
De ma position, je pouvais voir un nuage de poussière s’élever au-dessus de la route. La pluie avait cessé plusieurs jours auparavant et le ciel était dégagé. Un frisson nerveux me remonta le dos et je retournai à l’intérieur avant que les nouveaux arrivants puissent distinguer ma silhouette sur le chemin de ronde.
Je descendis les escaliers et traversai la cour en direction de la grande salle. Mon regard s’arrêta sur les pavés dont les interstices disparaissaient sous les mauvaises herbes. Je fermai les yeux et sondai les environs. La terre se lova contre ma présence, heureuse de me retrouver. J’aspirai l’énergie des plantes et la canalisai vers les fondations, me nourrissant de leur force vitale. J’en fis de même avec les ronces et les aulnes qui s’étaient appropriés le chemin menant à la porte principale. Je pris garde à ne pas toucher aux pommiers dans le verger, bien conscient qu’ils étaient la raison de ma survie.
Mes yeux se rouvrirent et je fus satisfait de voir que l’endroit était un peu plus propre. Mais l’absence de la verdure mettait en relief l’état pitoyable des pierres. Je regrettai aussitôt mon intervention.
Des voix me parvinrent et une bouffée de chaleur me monta au visage. Mon courage se dissipa comme une brume matinale et je me sauvai en direction de la grande salle. Je n’avais pourtant jamais été un lâche. Quoique mon ancien maître d’armes eut souvent déploré mon manque d’agressivité.
Un éclair de douleur me fit baisser les yeux et je vis que mes ongles avaient percé la peau de mes paumes. Mon seigneur tout comme mon maître d’armes étaient morts. Leurs opinions n’avaient plus d’importance, même si je devais vivre avec les conséquences de leurs choix.
Un fourmillement désagréable me parcourut au souvenir des échos qui avaient troublé mon sommeil. Je n’avais eu de cesse de me remémorer les pleurs de mes habitants, affaiblis par la maladie et la malnutrition. Ils m’avaient imploré de les aider, mais mes mains avaient été liées par les décisions de mon seigneur.
Le claquement des sabots sur les pavés me ramena au présent. La présence de ces voyageurs me permettrait de retrouver un certain équilibre dont le joyau avait grand besoin. Plus longtemps ils seraient sur nos terres et plus le joyau en tirerait les bénéfices.
Je devais absolument leur offrir un bon accueil.
Leurs pieds foulèrent les pavés et je les sentis inspecter les lieux, comme autant de chats affamés à la recherche de souris insouciantes dans une réserve. J’inspirai profondément, me refusant à me sauver de nouveau. Une première personne poussa le battant de la grande salle et appela les autres à sa suite.
Des hommes et des femmes entrèrent, leurs regards parcourant les murs. J’avais restauré les tapisseries en même temps que mes habits et les bannières du château Carmin étaient aussi flamboyantes qu’au jour de la mort de mon seigneur.
Le crissement d’une pierre à feu précéda l’éclat d’une torche. Les bordures dorées des bannières chatoyèrent sous la soudaine lumière et je mis une main devant mes yeux pour les protéger. Un cri de surprise se répercuta entre les murs.
Ma présence avait été remarquée.
J’avançai de quelques pas dans l’intention d’accueillir mes invités. Mais les mains se portèrent aux pommeaux des épées et les mères poussèrent les enfants vers l’extérieur.
Une vague de colère me submergea et je levai les bras. Les battants de la salle claquèrent et les fuyards durent bondir pour ne pas être happés. Ils étaient venus ici, sans y être invités, et après tout ce temps, et ils pensaient s’en prendre à moi?
– Que faites-vous sur les terres du joyau carmin?
Le silence accueillit mes paroles et plusieurs personnes échangèrent des regards. Un homme aux traits sévères s’avança, suivi d’une femme aussi grande que lui, dont la chevelure blonde reflétait la lumière de la torche. Il leva une main en signe de paix et prit la parole.
– Je suis Lathar, le chef de la caravane Norimshir. Nous avons fait un long voyage pour arriver jusqu’ici. La route a été difficile et nous demandons le gîte.
Les regrets m’assaillirent. J’étais seul. Personne ne les recevrait. Pas d’intendante, pas de domestiques, ni même de cuisinier. Je secouai la tête, incapable de parler tant ma gorge était serrée. La femme fit un pas de plus et tendit une main vers moi.
– Tu dois être Caysen. Je suis Maelora, capitaine de garnison du château Bleu. J’ai été envoyée par Sabaya et le château Violet pour évaluer la situation et apporter mon aide au besoin.
Le nom de la précieuse fit remonter plusieurs souvenirs, ceux de discussions agréables, de partages d’idées et de camaraderie. Un goût amer envahit ma bouche.
– Combien de temps?
– Nous sommes partis il y a un peu moins de deux mois.
Je secouai la tête.
– Non, depuis combien de temps ai-je été coupé du monde?
Lathar et Maelora échangèrent un regard et ma patience disparut.
– Depuis combien de temps m’avez-vous abandonné? Combien de temps avez-vous laissé passer depuis mon dernier appel? COMMENT OSEZ-VOUS FOULER MON SOL?
Des crissements se firent entendre autour de nous. Le bois des soutènements craqua et des pavés fendirent sous la pression. Les gens attroupés crièrent d’effroi et se blottirent les uns contre les autres.
Ma colère fondit aussi vite qu’elle avait éclaté. Je mis les mains sur mon visage pour éviter de voir leurs expressions apeurées. Le joyau m’envoya une onde de tristesse. Il tenait vraiment à ce que les voyageurs restent avec nous. Je relevai la tête et soupirai.
– Je suis désolé. Les années ont été difficiles. La joie de vous recevoir est mitigée avec la douleur de mon attente.
Les caravaniers échangèrent des regards prudents et un étau m’enserra la poitrine. Maelora prit la parole en premier.
– Les dernières années ont été mouvementées sur la côte, avec des attaques de pillards et des tempêtes destructrices. Je suis désolée que les secours aient été si longs à venir, mais je te promets que nous avons fait au plus vite une fois que cette mission nous a été confiée.
J’acquiesçai et fis un effort pour sourire.
– Les châteaux sont souverains, c’est ainsi que nos seigneurs l’ont voulu.
Maelora hocha la tête et la main qu’elle avait portée au pommeau de son épée se détendit. Lathar désigna ses gens d’un geste.
– La route a été difficile, même pour des caravaniers de longue date. Nous te demandons humblement l’hospitalité.
Le joyau pulsa sous mes pieds, satisfait de la tournure des événements. Une image s’imposa à mon esprit, celle de mon seigneur affalé sur le sol de sa chambre. Même affaibli par la maladie, il avait trouvé l’énergie de me crier des injures, m’accusant de toutes les malchances que nous avions essuyées. Je n’allais pas échanger un tyran pour un autre.
Je plissai les yeux et accédai aux pouvoirs du joyau. Ma vision se transforma, me permettant de voir les courants de magie et les auras. Plusieurs des personnes présentes avaient des filaments violets, des traces de leur passage auprès de Sabaya, et d’autres prenant leur source dans leur magie intrinsèque. Lathar était baigné d’un rouge semblable à celui des petits fruits d’été, et si j’avais douté de la noblesse de son caractère, il était sans conteste un meneur d’hommes.
Mon attention se porta sur Maelora et je vis la véracité de son histoire. Son cœur était d’un bleu intense caractéristique du joyau de la même couleur. Pour que la teinte soit si forte, elle devait avoir résidé au château Bleu de longues années. Sur ses mains et ses pieds, des filaments violets s’accrochaient, probablement laissés par ses récents contacts avec Sabaya.
L’envie irrationnelle me submergea de m’approprier ces couleurs, de les noyer sous un flot d’énergie carmin pour leur donner la teinte de mon joyau, pour les marquer, et que tous sachent qu’ils nous appartenaient. Je les revendiquerais tous pour les garder auprès de moi, pour nourrir le joyau et le voir florir comme avant.
Une vague de terreur balaya ces idées.
Prendre soin de tous ces gens serait au-dessus de mes forces. Leurs attentes m’écraseraient sous le poids des responsabilités. Je ne pouvais pas lier ces gens à nos terres.
Sans seigneur et sans maître d’armes, mon avenir était pour le moins incertain.
Le regard perçant de Maelora ne m’avait pas quitté et je m’éclaircis la gorge. J’allais répondre à la demande de Lathar, lorsque mon attention s’arrêta sur la femme à quelques pas derrière lui. Leurs énergies s’emmêlaient, les identifiant comme des partenaires. Sa magie à elle était celle de la terre et des arbres, brillant d’un éclat lilas évanescent.
Sauf à son bas ventre.
Une lueur bleue royale y iradiait : la couleur de l’amour; celle d’une vie en devenir.
Un frisson me remonta des pieds jusqu’à la tête devant cette opportunité inespérée. Le brouillard qui recouvrait mes pensées s’effilocha quelque peu sous le vent apporté par cet espoir. Je m’inclinai pour masquer mon trouble et plaquai un sourire sur mes lèvres.
– Je crains bien de ne pas pouvoir vous accueillir comme il se doit, mais je suis à votre disposition. Bienvenue au château Carmin.