Un extrait de Les vagues fugitives

Après 4 long mois d’attente, le tome 2 de La Coureuse des grèves est enfin prêt! Sa sortie est prévue le 22 juin 2023. J’ai énormément de plaisir à écrire dans cet univers et ça paraît dans mon rythme d’écriture. En 8 semaines, j’avais complété le premier jet. o.0

Mais même après plus de 10 romans, je n’ai pas encore atteint la perfection… À la suggestion de mon homme, j’ai dû reprendre pas loin du quart de l’intrigue. Si j’ai eu des pensées peu charitables à son égard sur le moment, je dois dire que le résultat en valait la peine. Cette enquête réunit les meilleurs éléments : mystères, secrets, surprises et rebondissements.

Ne pas oublier le chalet avec une seule chambre. Ha ha! Oups… Que je suis vilaine! J’ai envoyé Zacharie et Viviane sur la route et, malheur, il ne restait qu’un seul endroit disponible pour passer la nuit. Et plusieurs personnages de la série Windigo feront un passage éclair pour votre plus grand plaisir. Je n’en dis pas plus! Je vous laisse découvrir par vous-mêmes dans quel pétrin Viviane s’est encore mis le nez.

Dans cet extrait, la Corriveau a réussi à convaincre Viviane d’assister à une rencontre du conseil des Clans.


Je ne savais trop à quoi m’attendre, mais certainement pas à ce que la rencontre suive les règles d’une assemblée délibérante, avec un secrétaire, un ordre du jour et tout le tintouin. Je regardai les membres lever la main pour proposer et appuyer l’adoption du procès-verbal de la dernière réunion, et je fis un effort pour fermer la bouche.  
De l’autre côté de la table, Ellie m’envoya un clin d’œil complice tandis que Christian annonçait le point suivant. Une demande d’autorisation pour le passage d’invités sur le territoire. Un des membres de l’assemblée prit la parole, présenta les raisons de sa requête et son argumentaire pour qu’elle soit acceptée. Christian demanda le vote. L’opposition d’un des membres fut notée au procès-verbal. Point suivant. 
Je coulai un regard à Marie-Josephte qui écoutait avec une expression polie. Un rire nerveux remonta ma gorge et je l’étouffai en toussotant. Lorsqu’elle m’enjoignait de m’impliquer, quand Sorcha suggérait que je devienne la porte-parole des créatures aquatiques, elles proposaient en réalité que je participe à ce… Je n’avais même pas de mot. Mascarade ne convenait pas, car ils se prenaient bien trop au sérieux. Une parodie de démocratie? Je n’étais pas dupe au point de les croire civilisés, peu importait leurs habits, leurs sourires affables et les poignées de mains échangées. Je ne doutais pas un instant que la moitié des prédateurs autour de la table me sauteraient à la gorge si je les menaçais d’une quelconque façon. 
Et le plus risible dans tout ça? Le repas serait offert, mais seulement une fois la rencontre clôturée. L’idée avait du mérite : l’attrait d’un bon repas assurait la participation des membres, tout en les incitant à garder les discussions au plus court. Je ne savais pas si je devais applaudir leur génie ou me sauver à toute vitesse. 

– Point suivant, annonça Christian. C’est la raison pour laquelle nous avons invité madame Viviane Cormoran à se joindre à nous : la disparition de Ponik. 

Ponik… Le monstre lacustre? Celui qui occupait le lac Pohénégamook? Autour de la table, les mines s’assombrirent. Mon regard balaya les participants, surprise par cette réaction unanime. Pourquoi la disparition d’un seul individu les touchait-elle autant? Je me penchai vers Marie-Josephte. 

– Est-il un membre régulier du conseil? 

Elle secoua la tête. Je réalisai à ce moment que tous les regards reposaient sur nous. 

– Si tu veux bien faire état de la situation, demanda Christian à l’intention de Marie-Josephte. 

Celle-ci prit le relais. 

– Il y a quelques jours, j’ai été contacté par une source anonyme pour me signaler des problèmes dans le comté du Témiscouata. Un Fae, probablement un sauvageon, aurait attaqué un banc de Maymaygwashi7. Il aurait poursuivi sa route vers un nid de kappas8. L’affrontement qui a suivi a attiré l’attention des humains de la région; tant et si bien que les journalistes des quotidiens régionaux sont venus fouiner. J’ai tenté de rejoindre Ponik, sans succès. Mon contact sur place se montre évasif sur la situation. Je crains le pire. 

– Le moment est très mal choisi, commenta le Bonhomme Sept Heures. 

Marie-Josephte se tourna vers lui avec une lenteur délibérée. 

– On choisit rarement de disparaître pour faire plaisir aux autres. 

Je me raidis dans ma chaise, prête à rouler sous la table si la tension se transformait en agression. Une main levée coupa le duel de regards, détournant l’attention des deux puissances prêtes à se crêper le chignon. Ellie ne broncha pas lorsque tous les yeux se posèrent sur elle. J’admirais son aplomb; à sa place, j’aurais certainement flanché. 

– Choix ou non, nos ressources sont déjà fort sollicitées, dit-elle. Avec le vent de panique qui souffle sur les États-Unis, nous ne pouvons pas envoyer les Sentinelles des Faoladh mener l’enquête dans une autre ville. 

Je fronçai les sourcils, perplexe. En raison des caprices électriques causés par mes invités, regarder la télévision ou surfer sur le Net avait relevé du parcours du combattant. Mon dernier bulletin de nouvelles remontait à quelques jours. Je me penchai vers Marie-Josephte une fois de plus. 

– Qu’est-ce que nos voisins ont encore fait? 

– Oui, Marie-Josephte, coupa le Bonhomme Sept Heures. Explique à ta protégée – et à tout le conseil – ce qu’elle devrait déjà savoir. 

Ma main se crispa sur mon verre d’eau. Et si je le lui lançais au visage? Est-ce que ce serait si terrible? Le regard perplexe d’Ellie voyagea entre nous, et je ravalai un commentaire désobligeant au profit d’une réplique diplomatique, mais non moins satisfaisante. 

– J’aimerais qu’on note au procès-verbal que j’ai refusé de m’impliquer dans les affaires du conseil par deux fois avant que ma participation soit exigée pour la rencontre d’aujourd’hui.  

Sous le regard de réprimande de Christian, le Bonhomme Sept Heures détourna la tête avec une expression ennuyée. Le chef des Faoladh s’accouda sur la table. 

– Nous comprenons tes réserves. Et nous apprécions ta présence, insista-t-il avec un coup d’œil vers mon détracteur. En quelques mots, les Républicains9 ont décidé d’exposer la communauté surnaturelle au grand public. On parle déjà de la mise en place des premières mesures discriminatoires et ségrégationnistes. 

Mon sang se glaça dans mes veines. Cette menace flottait au-dessus de nos têtes depuis l’aube des temps. À partir du moment où les créatures surnaturelles avaient choisi de vivre dans l’ombre, le compte à rebours s’était lancé. Certaines époques avaient connu plus d’agitation que d’autres, mais la plupart des situations explosives avaient été désamorcées soit par la mort des agents perturbateurs ou par le simple passage du temps et son effet sur les mémoires.  
Au cours des cent dernières années, de plus en plus de gens avaient pris conscience de notre présence parmi eux. La technologie permettait aussi de faire perdurer ce savoir. Des surnaturels bien placés, comme Marie-Josephte, s’échinaient à éviter les débordements ou à les balayer sous le tapis du déni collectif. Cette fragile ère venait de toucher à sa fin. 
Mes yeux trouvèrent ceux de Marie-Josephte et ses lèvres pincées confirmèrent que nous avions pensé à la même chose : les créatures surnaturelles les plus vulnérables tenteraient de fuir. De toutes les époques et de tous les débats, le Canada adoptait souvent une politique plus souple ou alors une position moins radicale. Un tel afflux d’exilés solliciterait le réseau de refuges mis en place par Marie-Josephte, dont le mien. 

– La plupart des passages frontaliers se trouvent à l’ouest, plus près de Montréal, reprit Christian. Les vampires et les mages ont mis sur pieds certaines mesures pour intercepter les nouveaux arrivants. Chaudière-Appalaches compte cinq points d’accès que nous allons mettre sous surveillance. 

– N’y a-t-il pas un poste frontalier à Pohénégamook? demanda Ellie. 

– Ce sont principalement des routes commerciales utilisées par les entreprises d’exploitation forestière, les chasseurs ou les amateurs de quad, répondit Bryan à la gauche de Christian. Nous n’avons pas exclu cette possibilité, mais si quelqu’un traverse à cet endroit, il est déjà préparé à la survie en milieu hostile. Ce ne sera pas le cas de ceux qui arriveront des centres urbains. 

Christian hocha la tête et reporta son attention sur moi. 

– Le lac Pohénégamook est le repère de Ponik. Je ne sais pas à quel point tu es familière avec les monstres lacustres, mais leur présence attire les créatures inférieures pour constituer des collectivités distinctes et complexes. Ce sont souvent des créatures qui ne possèdent pas de glamour ou de faculté à masquer leur véritable nature aux yeux des humains normaux. En ce moment, une cinquantaine d’individus sont laissés à eux-mêmes, vulnérables et inquiets. 

Bryan reprit le flambeau : 

– J’arrive du Témiscouata. J’ai fait le tour du lac en voiture, puis sous ma forme de loup. Aucune des créatures inférieures n’a voulu m’approcher. Parmi les puissances notables, deux m’ont adressé la parole, mais ils n’ont pas répondu à mes questions et ils ont refusé mon aide. 

Les regards se posèrent sur moi tandis que Christian concluait : 

– Nous pensons qu’ils seraient mieux disposés à interagir avec une créature aquatique. En tant qu’océanide, Viviane aura plus de facilité à entrer en contact avec les différents groupes. Elle pourra nous donner l’heure juste sur la situation autour du lac et nous pourrons intervenir en conséquence. 

Le Bonhomme Sept Heures leva un doigt pour demander la parole. 

– Si Ponik les a abandonnés, et qu’ils refusent de collaborer, je ne vois pas pourquoi nous devrions nous plier en quatre pour les aider. 

À la table d’en face, Annick, la femme avec qui Christian avait discuté plus tôt, bondit sur ses pieds. 

– Si nous ne veillons pas sur notre communauté, alors nous ne valons pas mieux que le Roi-Mage. 

Le vieil homme grimaça. 

– Le Témiscouata est à deux cent cinquante kilomètres d’ici. On ne peut pas tenir un territoire aussi grand sans que ça se retourne contre nous. Notre engagement concerne la région de Québec. 

Quelques sièges plus loin, Sahale le contredit avec une expression pensive : 

– La Terre-mère n’appartient à personne, mais elle est l’affaire de tous. Si l’équilibre est rompu dans la collectivité de Ponik, les conséquences se feront sentir chez nous tôt ou tard. 

Loin d’être dissuadé par cette intervention, le Bonhomme Sept Heures plissa les lèvres avec dédain. 

– Des perturbations dans un lac du Bas-Saint-Laurent ne te causeront pas de soucis jusqu’en Colombie-Britannique. 

Sahale frotta son pouce sur son index et des étincelles crépitèrent.  

– Ne sois pas étroit d’esprit dans ton grand âge, Baptiste. Et ne m’oblige pas à aérer notre linge sale devant la visite. 

Entre les pouvoirs manifestes de Sahale, ses traits autochtones et la référence à la Colombie-Britannique, les morceaux du casse-tête s’assemblèrent : l’oiseau-tonnerre siégeait à la table du conseil des Clans. Il ne figurait pourtant pas sur la liste des joueurs principaux de l’échiquier politique que Marie-Josephte m’avait fournie. Était-il un invité au même titre que moi? 

– Nous sommes tous d’accord que le contexte est préoccupant, intervint Ellie, toujours aussi modérée. Mieux vaut prévenir que guérir : la situation à Pohéné pourrait dégénérer d’un moment à l’autre, avec toutes les conséquences possibles pour la région. Nous ne pouvons pas ignorer ce talon d’Achilles, surtout à la veille d’un possible conflit Canada – USA. 

La majorité des membres opinèrent. Cette jeune femme possédait un sang-froid remarquable pour son âge. J’aurais bien aimé savoir comment elle avait obtenu le titre de porte-parole du Windigo. Ce mystère devrait attendre, car je voyais une faille dans le plan du conseil. 

– Pourquoi ne pas mettre votre énergie à retrouver Ponik? demandai-je. Même si je prends la mesure de la situation, sa collectivité vivra dans la précarité jusqu’à son retour. 

Des regards s’échangèrent autour de la table. 

– Les monstres lacustres ont la réputation d’être excentriques, expliqua Marie-Josephte. Ponik pourrait réapparaître demain matin, ou dans dix ans. 

Le silence s’étira à la suite de sa réponse et je scrutai la réaction de chaque membre. 

– Personne n’ira à sa recherche? Et les autres monstres lacustres? 

Christian lâcha un soupir avant de répliquer. 

– Memphré a dit qu’il viendrait jeter un coup d’œil, mais les vampires ont rapporté qu’il a été aperçu au nord de l’île de Montréal. 

À ma connaissance, le lac Memphrémagog se trouvait en Estrie, à cent vingt-cinq kilomètres au sud-est de la métropole. Et Montréal se situait à quatre cent cinquante kilomètres de Pohénégamook… Un sacré détour. Mieux valait ne pas attendre son aide de sitôt. Christian lança un regard inquisiteur à Bryan et ce dernier répondit : 

– Toujours aucune nouvelle de Champi. Ça n’a rien de surprenant, puisque la vaste majorité du lac Champlain est du côté américain des lignes. Il y a fort à parier qu’il en a plein les bras avec sa propre collectivité. 

Le Bonhomme Sept Heures se cala dans sa chaise, les bras croisés. 

– Vu les réticences de Viviane à venir en aide aux créatures du Pohénégamook, et vu nos doutes sur la disparition de Ponik, je suggère que nous remettions notre décision à plus tard. Laissons le temps passer, et nous aviserons… 

L’outrage me raidit la colonne vertébrale et mes poings se crispèrent. L’ex-croque-mitaine de la communauté surnaturelle avait une propension à négliger ses semblables et à les traiter comme des commodités. Fait qu’il avait très bien démontré lorsqu’il s’était présenté chez moi en octobre dernier pour me jeter de fausses accusations au visage. Juste parce que la situation l’irritait, parce qu’il n’avait pas de meilleur coupable à pointer du doigt, il avait déferlé sa hargne sur moi. Maintenant, il tournait le dos à une collectivité dans le besoin comme s’il s’agissait de mettre les ordures au chemin. Je ne pouvais pas croire que les autres membres du conseil abonderaient dans ce sens. Autour de la table, les visages s’assombrissaient et j’y lus la résignation. 
Inacceptable. 

– Je vais y aller. 

Publié par Mélanie

Mélanie Dufresne est une auteur émergente de science-fiction et de fantastique. habite à Québec avec son conjoint et ses deux enfants. Entre la vie de famille et le travail, elle aime bien lire et faire de la randonnée.

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