Viviane est de retour avec le tome 3 de La Coureuse des grèves! La sortie est prévue le 19 octobre 2023. Je suis fière du travail accompli avec cet opus, car je vois les progrès faits au niveau de ma plume et dans la maîtrise du cozy mystery.
Dans Le ressac meurtrier, je vous promet une mort mystérieuse, une enquête pour vous tenir en haleine, des suspects belliqueux et plusieurs surprises. À la fin du tome 2, Viviane en a appris plus sur sa véritable nature, et cette vérité ne pourra pas être balayée sous le tapis. On a aussi quelques détails anodins depuis le début de la saga qui pourraient bien prendre tous leur sens. Je n’en dis pas plus.
Pour ceux et celles qui m’en ont voulu pour l’interlude interrompu sous la douche, j’espère que vous trouverez votre compte dans ce tome… ou pas! J’ai encore été vilaine, hé hé. Et pour les lecteurs hors-Québec, Michel vous réserve de superbes répliques hautes en couleur. En résumé, je me suis bien amusée.
Je vous laisse sur le premier chapitre (est-ce que je vous ai dit que j’étais fière de cette première phrase? = D). Bonne lecture!
Ce matin-là, le fleuve déposa un cadavre à mes pieds.
Mes yeux avaient mis un moment à identifier la masse ballotant entre les rochers. En plein mois de février, les glaces recouvraient presque tout. Un redoux la semaine précédente avait délogé d’énormes blocs et le rivage ressemblait à une zone de guerre. Même avec mon aisance naturelle, j’avais dû me résigner à enfiler des crampons sur mes bottes. La pluie et les températures plus clémentes avaient libéré une partie du rivage de sa prison givrée. Une large bande bleu-gris courrait entre la berge et la croûte ravagée.
Le corps gisait dans ce canal exempt de glace.
Mon souffle se condensa devant mon visage, les fumerolles emportées par un vent mordant. Mon hésitation ne dura qu’une fraction de seconde avant que mes pieds trouvent le chemin le plus sûr entre les rochers. Le redoux récent avait été suivi d’un froid aussi intense que soudain. Chaque creux et vallon s’était transformé en piège aux arêtes tranchantes. Un faux pas me vaudrait une jolie entaille en guise de souvenir.
De plus près, les traits m’apparaissaient masculins. La parka imbibée d’eau masquait les contours de la silhouette, et sa couleur vibrante contrastait avec la pâleur de la peau. Même si l’état du corps ne laissait planer aucun doute, j’étirai mes sens tout autour à la recherche d’une étincelle de vie. L’étreinte glacée de l’eau déclencha des frissons dans tous mes membres. Le fleuve connaîtrait bientôt ses jours les plus froids de l’année. Les découvertes macabres sur les berges se limitaient généralement à la période de mai à octobre. Le reste de l’année, les courants et le froid gardaient les morts captifs des eaux. La présence de ce corps en ce matin d’hiver ne faisait aucun sens.
Les yeux fermés, je bravai la froidure pour contacter le manitou du fleuve. Pour l’avoir déjà sondé, je doutais d’obtenir des réponses claires, car l’esprit du Saint-Laurent incarnait l’immensité. Sa présence englobait tant d’essences vitales et d’existences variées, et ce sur des centaines de kilomètres, que ses pensées ne ressemblaient en rien à celles des autres créatures de ma connaissance.
Sa présence roula à la limite de ma perception, puis son attention glissa vers le corps à mes pieds. Je tendis les mains, paupières closes, et sa tristesse imprégna le contact. Des regrets? Il n’avait pas eu l’intention de happer cette vie. Une autre sensation fusa, semblable à une étoile filante, fugace et émouvante. Justice. Le fleuve voulait rétablir un tort.
Je restai indécise un moment, perchée entre deux affleurements rocheux. Enfin, je sortis mon smartphone de ma poche et contactai le service d’urgence. J’aurais certainement pu faire une déclaration anonyme, mais l’impression laissée par le manitou m’incita à attendre l’arrivée des autorités pour les mener jusqu’à ma découverte, puis à répondre à leurs questions, puis à raconter ma matinée encore et encore.
Ce qui devait être une rapide balade matinale se transforma en plusieurs heures d’attente et d’interrogatoire. Heureusement, j’avais enfilé mes habits les plus chauds – vêtements thermiques en laine de mérinos, tuque1, cache-cou, moufles de ski, jusqu’au pantalon doublé. Malgré tout, le froid avait eu raison de mes précautions et des frissons intermittents me parcouraient le dos lorsque je regagnai enfin le manoir.
La neige recouvrait les parterres de fleurs en une masse blanche informe. Quelqu’un avait gratté l’allée avec soin depuis mon passage tôt ce matin. Je fronçai les sourcils. Le manoir n’accueillait en ce moment qu’un invité, en plus de Florence qui avait choisi d’y passer l’hiver. J’espérais que la vieille dame ne s’était pas esquintée à jouer de la pelle : avec la chute des températures, la neige s’était transformée en masse compacte et difficile à manœuvrer, sans compter que les congères atteignaient mes épaules. Ce n’était pas impressionnant en soi en raison de ma petite taille, mais Florence me dépassait à peine.
Mon regard s’attarda sur les larges empreintes de bottes qui parsemaient l’allée. Je pivotai pour étudier l’entrée, et assurément, j’y trouvai les sillons laissés par une voiture. Florence avait dû appeler Ben, notre voisin, en renfort. En raison de sa nature de géant de pierre, la léthargie hivernale le rendait plus casanier qu’à l’habitude, mais il insistait pour donner un coup de main avec l’entretien du manoir, peu importe la période de l’année.
Mes doigts effleurèrent la rambarde de la galerie en grimpant les marches. Le manoir craqua et grinça en guise de salutation. Un sourire étira mes lèvres. Si on m’avait dit l’an passé à pareille date que je serais aussi attachée à une résidence, je ne l’aurais jamais cru. La porte s’ouvrit alors que je secouais mes bottes sur le paillasson. Florence apparut dans l’ouverture, ses cheveux aussi blancs que le paysage, mais son sourire bien plus chaleureux.
– Tu dois être frigorifiée, ma pauvre Viviane! me salua-t-elle. J’ai préparé du chocolat chaud.
Je m’empressai de refermer la porte derrière moi et de retirer mon manteau.
– Je suis désolée de m’être absentée si longtemps, dis-je en la suivant dans la cuisine.
Elle agita une main pour chasser mes excuses. Après mon coup de fil aux autorités, j’avais averti Florence, même si à ce moment, je ne pensais pas que les policiers me retiendraient aussi longtemps. Tout de même, l’apparition d’un corps flotté avait de quoi rendre perplexe tout le monde. Sans compter l’intervention du manitou, que je pouvais difficilement expliquer aux enquêteurs. Mon attention se détourna de ces sombres considérations à la vue de la plaque de biscuits tout juste sortis du four. J’en attrapai un et mes yeux se fermèrent de satisfaction à la première bouchée à la fois tiède, croustillante et tendre. Je mis une main sur mon cœur et m’inclinai à l’intention de Florence, la bouche trop pleine pour parler. Ses yeux pétillèrent tandis qu’elle se penchait vers moi pour chuchoter.
– Ces biscuits ont failli être aux raisins. Fayette a encore fait des siennes : il a échangé les pépites de chocolat pour les raisins secs dans le garde-manger.
Je haussai les sourcils avant d’ouvrir le battant pour inspecter les tablettes. Le reste des ingrédients semblait épargné, heureusement. Le petit korrigan était arrivé au manoir en octobre dernier. Notre relation avait mal commencé, mais grâce à quelques conseils judicieux de Florence, j’avais amadoué le lutin et il avait établi son nid dans les combles. Il lui arrivait de protester contre certains changements de décor ou de routine, comme les décorations de Noël, ou les soirées tardives. Il s’assurait de nous témoigner son désaccord par des moyens détournés, sans que personne ne le prenne sur le fait. Nous en étions à trois frasques en autant de jours. Un soupir m’échappa et je refermai le garde-manger. Je finirais bien par trouver ce qui le dérangeait.
– Et notre invité? demandai-je.
– Il est retourné faire une sieste après le repas de ce midi. Son humeur s’est améliorée, mais il se fatigue vite.
Je hochai la tête en réponse, peu surprise. Un renard traqué par une meute de chiens aurait eu meilleure mine que Joël à son arrivée. Son épuisement avait presque masqué sa nature de mage à mes sens. Florence s’affaira à placer les biscuits dans des boîtes, mais aux coups d’œil qu’elle me jetait, je devinais sa curiosité. Ma faim à peine assouvie par le biscuit, je fouillai dans le frigo et en sortis l’assiette qu’elle avait mise de côté à mon intention. Quelques secondes plus tard, elle reprit :
– La police a-t-elle identifié le corps?
– Si oui, les agents se sont bien gardés de me le dire. Mais je pense que c’est trop tôt. Le séjour dans l’eau n’a pas aidé l’apparence de la victime, et ce n’est pas comme si elle avait son permis de conduire dans ses poches.
Je haussai les épaules, aussi curieuse qu’elle, mais résignée à ne jamais connaître le fond de l’histoire. Florence retroussa le nez, loin de se laisser décourager.
– Je vais surveiller les nouvelles. On finira sûrement par avoir des détails.
J’acquiesçai entre deux bouchées. Cette macabre découverte avait retardé mes projets de la journée. Mon après-midi s’annonçait bien rempli, car nous aurions une pleine tablée pour le souper. Deux semaines plus tôt, j’avais offert à Florence d’inviter quelques personnes pour son anniversaire, et ses yeux s’étaient remplis de larmes sous le coup de l’émotion. À l’écouter, on aurait dit que j’avais proposé d’organiser un bal formel, alors qu’en réalité, seuls Ben et Zacharie viendraient nous rejoindre, de même que notre invité du moment. Elle avait insisté pour confectionner son propre dessert, ce que j’avais d’abord refusé, jusqu’à ce qu’elle m’annonce son choix : un mille-feuille. Avec du véritable fondant et de la crème pâtissière (et pas de la costarde bon marché). Confectionnés maison, de A à Z.
Si je me débrouillais assez bien en cuisine, le défi m’avait fait hésiter. Heureusement, Ben avait offert son aide à Florence et suggéré que je me concentre sur le plat principal. L’offre m’avait semblé raisonnable. J’avais jeté mon dévolu sur une fondue chinoise4. Ainsi, je n’aurais pas de viande à cuire, seulement les accompagnements et les sauces à préparer. Comme les plaques de pâtes feuilletées devaient refroidir avant d’être garnies, Florence n’aurait pas besoin de la cuisine d’ici les prochaines heures. J’en profitai pour réaliser mes préparatifs. Florence s’installa dans sa bergère, placée en angle dans le coin de la pièce exprès pour qu’elle puisse me tenir compagnie en de telles occasions.
Ses aiguilles à tricoter cliquetaient tandis qu’elle chantonnait tout bas. L’écharpe sur laquelle elle travaillait gondolait d’une manière qui ne me semblait pas tout à fait planifiée, mais la couleur émeraude accrochait le regard et faisait oublier les défauts de maille. Baka nous rejoignit alors que je terminais de couper les légumes pour la salade. L’énorme chat au pelage sable marcha d’un pas lent jusqu’au milieu de la pièce. Le nez dans les airs, les moustaches frémissantes, il inspecta mon travail. Je secouai la tête à sa question muette. Aucun des aliments sur le plan de travail ne trouverait grâce à ses yeux. Sa queue fouetta l’air, témoignant de son agacement, puis il prit la direction du calorifère. Il s’étala de tout son long au pied du radiateur en fonte, tel un sphinx, les yeux plissés pour mieux surveiller la progression de mes préparatifs.
Je m’attelai à la confection des sauces : une au cari, une autre saveur miel et dijon, il en faudrait au moins une plus piquante, puis une dernière plus fraîche à la menthe et au concombre. Je terminais de ranger les bols au frigo lorsque trois petits coups retentirent à la porte d’entrée. Sans délai, la porte s’ouvrit et la voix de Ben résonna :
– Les renforts sont arrivés!
Florence mit son tricot de côté et se leva au moment où notre voisin traversait l’arche. La tête du géant frôlait presque la poutre. Sans son glamour, il aurait été incapable de se déplacer dans le manoir. Après trois mois d’hibernation, Ben commençait à reprendre un rythme plus normal, au fur et à mesure que les journées rallongeaient et que la température se réchauffait. Même s’il nous restait plusieurs tempêtes à essuyer, et sûrement quelques journées de grands froids, j’attendais le retour du printemps avec impatience. Ce serait la première fois depuis plus d’un siècle que j’aurais mon propre potager à préparer.
– Où est la fêtée? Tu es radieuse, dit-il en se penchant pour faire la bise à Florence.
– Merci, mais tu sais que la flatterie n’est pas nécessaire pour obtenir une deuxième portion de dessert.
Son sourire coquet démentait ses paroles. Il lui tendit le paquet qu’il avait tenu niché au creux de son bras. Florence s’extasia et j’étirai le cou pour mieux voir ce qu’elle avait dégagé du papier cadeau.
– Des violettes africaines bicolores, précisa Ben. Je les ai gardées bien au chaud dans ma serre depuis l’automne en prévision de ce grand jour.
Florence lui fit la bise à nouveau pour le remercier. Je lui pointai la fenêtre avec le meilleur ensoleillement, juste au-dessus d’un radiateur, tandis que Ben me rejoignait. J’essuyai mes mains avant de lui faire la bise à mon tour. Son regard survola le plan de travail et il haussa les sourcils.
– Ce sera un véritable festin!
– Les invités ont une bonne fourchette. Je ne voudrais pas que quelqu’un reparte le ventre vide, le taquinai-je.
Le manoir soupira et je levai le nez, curieuse de savoir ce qui l’avait fait réagir. Quelques secondes plus tard, le plancher de l’étage craqua puis les planches de l’escalier grincèrent. Mon invité du moment descendit les marches, les yeux encore lourds de sommeil. Ses cheveux noirs en épis et les traces d’oreiller sur ses joues lui donnaient un air gamin. Sa silhouette sinueuse renforçait cette impression de jeunesse, aussitôt démentie lorsqu’on croisait son regard. Dans les profondeurs de ses iris bruns se devinaient des années d’épreuves et d’embûches.
– Bonjour Joël, le saluai-je. Besoin d’une collation pour tenir jusqu’au souper?
– Je prendrais bien un thé, dit-il avec un sourire gêné.
Mon cœur se réchauffa de l’entendre verbaliser ses souhaits avec plus d’aisance qu’à son arrivée. Je pivotai pour mettre la main sur la bouilloire, au moment où la minuterie du four sonnait. Ben me lança un coup d’œil interrogateur.
– Les pommes de terre doivent être retournées, indiquai-je.
Avec un hochement de tête, il ouvrit la porte du four et se mit à la tâche, mains nues. Je réprimai une grimace, même si je savais qu’une épaisse couche de corne recouvrait les mains du géant. J’avais quand même quelques réticences à le voir faire.
Quelques secondes plus tard, je regrettai de ne pas avoir insisté : lorsque Joël arriva au comptoir, Baka bondit en feulant. Il courut entre l’îlot et le comptoir comme si le diable lui-même le pourchassait. Je sursautai et faillis renverser la boîte de sachets de thé. Ben eut moins de chance. À ma réaction, il avait pivoté pour me lancer un coup d’œil, à l’instant où Baka se faufilait entre ses jambes. Pour éviter d’écraser le Maine coon, il projeta son poids vers l’avant. Directement dans le four grand ouvert. Son bras entra en contact avec l’élément chauffant et il gronda de douleur alors qu’une odeur de chair brûlée se répandait.
J’abandonnai le thé sur le comptoir et ouvris le robinet à pleine puissance. Ben s’était figé, le regard sur sa blessure. Je le poussai vers l’évier et dirigeai son bras sous l’eau. Des lambeaux de peau s’agglutinaient autour de la plaie déjà pourpre. Il siffla entre ses dents au contact de l’eau froide, et son visage se contorsionna de douleur. Derrière nous, j’entendais Florence s’exclamer, inquiète, et Joël offrir son aide.
Une brûlure au troisième degré dépassait mes facultés de guérison en tant que nymphe. Mais pas celles d’une enchanteresse. Personne d’autre n’avait vu la plaie, et avec un peu de chance, le choc pousserait Ben à faire abstraction de l’état initial de sa blessure. Après une profonde inspiration, je puisai dans les réserves du pouvoir obscur.
Depuis mon retour de Pohénégamook, il restait près de la surface, toujours à quelques secondes près de réagir. Comme il s’était contenté de manifestations anodines depuis, je n’avais pas fait l’effort de le pousser dans ses retranchements. Malgré tout, son potentiel destructeur restait une menace tangible, et je me doutais que le jour viendrait où cette bombe métaphorique me sauterait au visage.
L’énergie remonta de mon ventre vers ma poitrine avant de se diffuser dans mes membres. Je canalisai mon attention vers le bras de Ben, toujours plongé sous l’eau. La présence de mon élément de prédilection permit à la magie de circuler plus vite. Sans même fermer les yeux, je sentis le pouvoir obscur recouvrir la blessure. Il l’enroba et imprégna la peau abîmée pour stimuler la guérison, offrant ses ressources pour pallier celle du corps. En quelques secondes, la peau se reforma, pâlit et retrouva une apparence saine. Ben cligna des yeux à quelques reprises, puis il ferma l’eau. Je reculai d’un pas et attrapai un linge propre pour le lui tendre. Il tourna son bras d’un côté et de l’autre.
Je me figeai en réalisant que je n’avais pas demandé sa permission. J’aurais dû lui donner le choix avant de passer à l’action. J’avais agi d’instinct. Par moment, j’avais l’impression que la proximité du pouvoir obscur voilait mon raisonnement. Comme s’il conspirait pour m’inciter à faire appel à ses ressources. Je m’éclaircis la gorge avant de présenter mes excuses à Ben :
– J’ai agi sur l’impulsion du moment, mais avec toute cette eau, c’était une affaire de rien.
Le mensonge glissa de mes lèvres comme un poisson entre les mains d’un enfant. En tant que nymphe, la guérison mineure faisait partie de mon arsenal. Un coup de soleil aurait été l’affaire de rien pour une de mes semblables. Je n’aurais pas dû être capable de faire disparaître toute trace de la blessure. Ben tapota son bras avec le linge et sourit avec gratitude.
– Tu viens de m’épargner une virée aux urgences.
Florence contourna l’îlot pour observer la peau à peine rougie de Ben.
– On a évité le pire, constata-t-elle avec soulagement. Je ne sais pas ce qui a énervé Baka à ce point.
Ben haussa les épaules en lui assurant que les motivations des chats restaient un mystère, même pour les chats. La crise évitée, et l’attention détournée de mes facultés de guérison, je sortis des tasses et repris où j’en étais avec le thé de Joël. Les bras croisés, ce dernier observait Ben avec une expression songeuse. Je m’efforçai de lui sourire lorsque je lui tendis la tasse où on pouvait lire « Remplie de bonnes intentions ».
– La guérison est un pouvoir difficile à maîtriser, remarqua-t-il. C’est une faculté qui m’aurait épargné bien des tragédies par le passé.
Mon visage se crispa. Je coulai un regard vers Ben et Florence qui s’étaient lancés dans le montage du mille-feuille. Florence leva brièvement les yeux vers nous sans s’arrêter dans ses directives, accaparant toute l’attention de Ben. Avec un peu de chance, elle n’avait pas saisi le sous-entendu de Joël.
– La brûlure était superficielle, répondis-je. J’imagine que tu as remarqué les excentricités du manoir. Il lui arrive d’interférer avec ma magie. En plus, il aime bien Ben…
Je haussai les épaules, espérant qu’il tirerait ses propres conclusions de mes explications décousues. Je préférais ne pas lui mentir, mais je n’avais pas intérêt à ce qu’il creuse la question. S’il m’arrivait de passer sous silence la nature surnaturelle du manoir auprès de certains invités, Joël avait remarqué dès son arrivée les interactions entre la demeure et ses occupants. Il porta sa tasse à ses lèvres et je me détournai pour ranger la cuisine. Avec un peu de chance, il abandonnerait le sujet. Je me changeai les idées en passant mes préparatifs en revue : il ne me restait plus qu’à chauffer le bouillon et sortir les barquettes de viande finement tranchée, mais ça attendrait à la dernière minute.
L’eau en périphérie du manoir frétilla. Le froid ralentissait ses réactions, mais pas au point de nuire à ma première ligne de défense. Mon cœur accéléra. Zacharie arrivait.